Au Delà Des Ombres

Prologue

Les aiguilles de l'horloge, accrochée au mur d'un bureau immaculé, marquaient 22h13. Dans la pénombre presque solennelle, seule la lumière artificielle de mon bureau éclairait ma silhouette, assise face à une pile de dossiers interminable. Mon regard fatigué balayait les lignes des rapports, les corriges mécaniquement tout en laissant mes pensées s'égarer.

Je m'appelle Emma, une simple secrétaire dans une entreprise gigantesque. Mon quotidien n'est qu'une succession de commandes à traiter, de rendez-vous à caler et de décisions prises pour quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un, c'est Adrian Morel, mon patron.

Adrian est tout ce que je ne suis pas. Brillant, imposant, inaccessible. Son visage, d'une beauté austère, pourrait figurer sur les couvertures des magazines, mais son regard est glacial, presque dénué d'humanité. Il inspire le respect et la crainte, tout en tenant le monde à distance. On dit qu'il ne laisse personne entrer dans sa vie personnelle. Mais, dans ses moments de silence, dans les éclats fugaces de vulnérabilité qu'il semble s'efforcer de dissimuler, j'ai parfois l'impression de percevoir un homme brisé.

Et moi, dans cette histoire ? Je ne suis qu'un pion dans sa mécanique parfaite, une ombre parmi ses employés. Pourtant, je ne peux pas nier ce que je ressens. Mon cœur me trahit, se serrant à chaque fois qu'il entre dans la pièce, à chaque fois qu'il pose sur moi ces yeux sombres et indéchiffrables. Comment ai-je pu tomber amoureuse de lui ? C'est insensé.

Ce soir-là, alors que le reste des employés avait quitté l'immeuble depuis longtemps, je m'étais promis de finir ce dernier dossier avant de rentrer chez moi. Mais la fatigue prenait le dessus, mes paupières devenaient lourdes. Je commençais à rassembler mes affaires quand une voix grave et autoritaire me fit sursauter.

- Emma, restez.

Je levai les yeux, et là, il était, dans l'embrasure de la porte. Son costume impeccable ne portait aucune trace de la longue journée qui venait de s'écouler. Son visage était aussi impénétrable que d'habitude, mais quelque chose dans son regard me fit frissonner.

- Monsieur Morel ?

- J'ai à vous parler.

Mon cœur rata un battement. Avais-je fait une erreur ? Mon esprit s'emballa, cherchant désespérément une explication. Il avança lentement vers moi, et je remarquai une certaine tension dans ses épaules, comme s'il s'apprêtait à dire quelque chose qu'il n'avait pas l'habitude de prononcer.

- J'ai une proposition à vous faire, dit-il finalement, sa voix aussi froide qu'un souffle d'hiver.

Je fronçai les sourcils, intriguée.

- Une proposition ?

Il hocha légèrement la tête, ses mains glissant dans les poches de son pantalon.

- Vous allez m'apprendre... l'amour.

Le silence qui suivit fut si lourd que j'eus l'impression qu'il absorbait tout l'air de la pièce. Je le fixai, incrédule, certaine d'avoir mal entendu.

- Pardon ?

- Vous avez bien entendu, répondit-il, son ton calme, mais son regard brillant d'une intensité que je ne lui connaissais pas. L'amour. Vous allez m'apprendre ce que cela signifie, ce que cela implique.

Je ne savais pas quoi dire. Mon esprit tentait de trouver un sens à ses paroles, mais rien ne semblait logique. Adrian Morel, cet homme de glace, cet être inatteignable, me demandait à moi... de lui enseigner l'amour ?

- Pourquoi... moi ? demandai-je, ma voix à peine audible.

Il me regarda avec une lueur d'honnêteté brutale.

- Parce que vous êtes différente. Vous ne cherchez pas à me plaire, et pourtant, vous êtes là. Toujours là.

Ces mots, simples mais déconcertants, suffirent à troubler le peu de certitudes que j'avais encore.

- Et qu'est-ce que j'y gagne ? tentai-je, comme pour reprendre le contrôle de la situation.

- En échange, je ferai de vous une femme que personne ne pourra ignorer. Forte, sûre d'elle, et respectée. Je vous apprendrai à obtenir tout ce que vous voulez dans ce monde.

Un marché. Voilà comment il voyait cette étrange proposition. Un échange de compétences, un contrat implicite. Mais ce qu'il ne semblait pas comprendre, c'était que l'amour n'avait rien à voir avec un contrat.

Je le regardai, déchirée entre l'envie de fuir et cette étrange curiosité qui me retenait là. Tout en moi criait que c'était une folie, que je devais refuser. Mais une partie de moi, celle qui l'aimait malgré moi, celle qui rêvait de percer cette carapace de glace, m'empêcha de partir.

Alors, contre toute logique, je répondis :

- D'accord.

Ce fut ce simple mot qui scella le début d'une histoire aussi dangereuse qu'inattendue. Une histoire où deux âmes perdues allaient se confronter, se heurter, et peut-être, apprendre à guérir ensemble.