Chapitre 1: le premier pas

15 2 0
                                    

La lumière des néons au-dessus de moi se reflétait sur les papiers éparpillés sur mon bureau, mais mes yeux restaient figés sur l’horloge murale. L’aiguille des minutes avançait à un rythme exaspérant, tandis que je me sentais de plus en plus étouffée par ce silence imposé par la nuit qui tombait sur l’immeuble. Il était presque 22h00. Je n’avais pas bougé depuis des heures. Il fallait que je termine ces rapports avant de pouvoir quitter le bureau et rentrer chez moi. Mais, malgré ma volonté de m’y consacrer, mon esprit était ailleurs, constamment interrompu par cette pensée obsédante qui m’envahissait depuis la veille.

"Vous allez m’apprendre l’amour."

Les mots d'Adrian résonnaient sans cesse dans ma tête, inlassablement, comme une mélodie lancinante qui ne cessait de m’assaillir. Chaque fois que j’y pensais, un frisson m’envahissait, une étrange excitation mêlée à une peur irrationnelle. L’amour... Comment pouvais-je lui enseigner une chose aussi intangible ? Et pourquoi moi ? Pourquoi ce regard perçant qu'il avait posé sur moi, comme s’il avait découvert une facette cachée de ma personnalité qu’aucun autre n’avait jamais vue ?

Je n’avais aucune idée de ce qu’il attendait, de ce qu’il espérait réellement. Mais ce qui était certain, c’est que la proposition qu’il m’avait faite semblait tellement absurde que je n'avais pas pu y résister.

Mes pensées furent soudainement interrompues par le ding de l’ascenseur. Je levai les yeux, espérant échapper à mes réflexions pour un instant, mais lorsque je vis Adrian apparaître dans l’encadrement de la porte, mon cœur s’emballa. Il ne semblait même pas remarquer ma présence. Il avançait avec une assurance froide, presque glaciale, comme toujours. Aucun sourire, aucun mot gentil. Juste cette présence imposante qui me faisait me sentir insignifiante à chaque fois qu’il était dans les parages.

— Emma, dit-il d’une voix calme mais autoritaire .

Mon corps réagit avant même que mon cerveau ait eu le temps de comprendre ce qui se passait. J’avais à peine eu le temps de saisir mes affaires et de me lever que déjà il me guidait vers son bureau.

— Je vous attendais, dit-il sans me jeter un regard. Nous allons discuter.

Mon cœur battait à tout rompre alors que je le suivais sans un mot. Ce n’était pas la première fois que je pénétrais dans ce bureau, mais cette fois-ci, tout semblait différent. Je n’étais pas une simple employée qui passait déposer des documents ou organiser son emploi du temps. Aujourd’hui, j’étais là parce qu’il m’avait demandée. Parce qu’il voulait que je lui enseigne l’amour. Et moi, je n’avais même pas la moindre idée de par où commencer.

Lorsque nous fûmes arrivés, il se tourna vers moi, son regard perçant me sondant comme s’il pouvait voir à travers mes pensées. Il se laissa tomber dans son fauteuil en cuir, s’adossant contre le dossier avec cette tranquillité glaciale qui le caractérisait. Je pris place en face de lui, ne sachant pas quoi dire ni comment briser ce silence.

— Commençons, dit-il, la voix ferme, sans laisser place à l’hésitation. Vous m’avez accepté dans votre monde. Il est temps de commencer à m’enseigner ce que vous savez.

Je déglutis. Ses mots étaient simples, mais tout ce qui en découlait était bien plus complexe que ce que je pouvais comprendre à cet instant.

— D’accord, répondis-je d’une voix plus tremblante que je ne l’aurais voulu. Par où commencer ?

Adrian m’observa un moment, une légère lueur de curiosité dans ses yeux sombres. Il semblait presque étonné de ma réaction. Il ne s’attendait sûrement pas à ce que je sois aussi déstabilisée. Mais comment ne pas l’être face à une telle demande ?

— Ce que vous devez comprendre, Emma, dit-il en s’asseyant plus droit dans son fauteuil, c’est que je ne suis pas comme les autres. Je ne ressens pas ce que vous ressentez. L’amour… c’est un concept que j’ai toujours observé de loin, sans jamais m’y engager pleinement. Cela m’a toujours semblé… inutile. Une distraction. Mais vous, vous êtes différente. Vous semblez le comprendre d’une manière que je ne peux saisir. Et c’est pour cela que je vous ai choisie.

Ses mots frappèrent comme un marteau. Il était sincère, je pouvais le sentir dans le ton de sa voix, mais cette sincérité ne faisait qu’ajouter une couche de confusion à ma propre compréhension de lui. Je n’étais qu’une simple secrétaire. Une personne parmi tant d’autres dans cette entreprise. Pourquoi moi ? Pourquoi choisir une femme comme moi pour lui apprendre une émotion aussi complexe que l’amour ?

Il attendait ma réponse, je le savais.

— Je… je ne sais pas par où commencer, avouai-je, me sentant soudainement vulnérable. Je n’ai pas de recette secrète. Je ne suis pas une experte. L’amour, ce n’est pas quelque chose que l’on peut apprendre.

Adrian pencha légèrement la tête, comme s’il analysait chaque mot que je prononçais.

— Vous croyez vraiment ça ? demanda-t-il d’une voix presque douce.

Je me sentais comme une gamine face à son regard, incapable de cacher ce que je pensais.

— Oui, répondis-je. L’amour… C’est compliqué. Il n’y a pas de règles. Parfois, ça se fait naturellement, parfois ça ne se fait pas du tout. Il n’y a pas de manuel pour ça, Adrian.

Il m’observa longuement, et pendant un instant, je crus qu’il allait réagir avec son habituel sarcasme, mais il resta silencieux. Puis, dans un souffle, il dit :

— Très bien. Alors commençons par la base. Dites-moi, Emma, qu’est-ce qui, selon vous, définit l’amour ?

Je baissai les yeux, cherchant mes mots. L’amour… Qu’est-ce que c’était réellement ? Mon esprit se remplit de souvenirs flous, de premières amours, de déceptions, de joies intenses. J’avais toujours cru que l’amour était ce feu qui brûle sans cesse, cet élan irrésistible qui vous pousse à tout donner pour l’autre. Mais Adrian… Il ne semblait pas comprendre cela.

— L’amour, répondis-je après un long silence, c’est un mélange de confiance, de vulnérabilité, et de don de soi. C’est accepter l’autre tel qu’il est, avec ses défauts, ses blessures. Ce n’est pas une perfection. C’est imparfait. Et c’est ce qui le rend spécial.

Adrian sembla réfléchir à mes paroles. Il n’avait pas l’air convaincu, mais il n’avait pas l’air totalement fermé non plus. Ses yeux se fixèrent sur moi d’une manière presque… attentive.

— Et vous, Emma, vous croyez en cet amour ? demanda-t-il, presque comme un défi.

Je le regardai, les battements de mon cœur accélérant sous la pression de sa question. Et, dans un élan d’honnêteté brutale, je répondis :

— Oui, je crois. Même si parfois, cela fait mal, même si parfois, on se perd. Mais c’est ce qui nous fait vivre.

Il se leva alors, un sourire subtil effleurant ses lèvres, comme s’il venait d’apprendre quelque chose qu’il ne savait pas.

— Très bien, Emma. Nous allons continuer à explorer cela ensemble. Mais rappelez-vous, ce que vous enseignez ne peut être que ce que vous avez vécu vous-même.

J’eus à peine le temps de réagir qu’il ajouta, avant de tourner les talons pour s’éloigner :

— Venez demain à la même heure. Nous continuerons. Vous aurez beaucoup à m’apprendre.

Je restai là, dans son bureau vide, le cœur battant, consciente que cette étrange alliance allait me mener plus loin que je ne pouvais l’imaginer.

Et le pire, c’est que je n’étais même pas sûre de vouloir m’échapper.

Au Delà Des Ombres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant