La nuit est calme. Le silence semble envahir l'espace qui nous entoure, au point que même le vent à déposer sa robe pour ce soir. Les étoiles de rangent les unes parmi les autres, dans un désordre cosmique dont elles connaissent que trop bien le secret. Peut-être au loin, si on tend l'oreille, se balade quelque part au fond des bois, les truffes humides des sangliers, ou les pattes discrètes des araignées. Mais pour le moment, la nuit est calme. Lila dort. La nuit aussi.
Près du feu, je sens mes pieds qui se réchauffent. Par moment, comme pour se révolter contre ce silence, le bois proclame son murmure. L'envie de jouer me prend mais troubler le silence qui est d'or me paraît mal venu. Alors j'écoute tranquillement la musique à l'intérieur de moi.
Des jours durant nous avons marché, sans jamais nous arrêter, par peur d'être rattrapés. Des jours durant nous nous sommes cachés en s'empêchant de respirer. Des jours durant nous avons fui mais pour la première fois nous pouvons enfin nous reposer. Lila n'a pas attendu l'accord pour s'endormir. Si je n'avais pas peur que l'on nous rattrape, peut-être que moi aussi je dormirai à ses côtés. Mais pour le moment mes muscles sont trop tendus pour se détendre, alors je reste près du foyer. Tant pis si la fumée nous repère, nous avons trop froid pour survivre une nuit de plus. Demain j'irai chasser. Pour le moment nous nous contenterons des soupes aux orties.
- Will ?
Lila me sors de mes pensées et par la même occasion secoue la nuit qui reprend son vacarme nuptiale.
- Tu peux jouer de la flûte ? Je n'arrive pas à dormir.
Sans un mot je saisis mon sac et en sort mon instrument. Je frotte vigoureusement mes mains près du feu pour me dégourdir les doigts avant de placer mes lèvres sur le biseau. Et alors, doucement, j'entame ma comptine.
Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore,
Au milieu de mes phrases, se glissent le son du poème.
Puisque, après m'avoir fui longtemps, l'espoir veut bien
Revoler devers moi qui l'appelle et l'implore,Dans mes mains, sous mes doigts glissent les notes.
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,
Pour transformer ses douleurs en bonheur.
C'en est fait à présent des funestes pensées,
C'en est fait des mauvais rêves, ah ! c'en est fait
Surtout de l'ironie et des lèvres pincées
Et des mots où l'esprit sans l'âme triomphait.Le froid de l'air se réchauffe au son des gammes.
Arrière aussi les poings crispés et la colère
A propos des méchants et des sots rencontrés ;
Arrière la rancune abominable ! arrière
L'oubli qu'on cherche en des breuvages exécrés !Les images se bousculent au rythme des mots, et dans l'alternance du sifflement je revois le périple, je revois le chemin.
Car je veux, maintenant qu'un Être de lumière
A dans ma nuit profonde émis cette clarté
D'une amour à la fois immortelle et première,
De par la grâce, le sourire et la bonté,Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ;Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,
Vers le but où le sort dirigera mes pas,
Sans violence, sans remords et sans envie :
Ce sera le devoir heureux aux gais combats.Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,
Je chanterai des airs ingénus, je me dis
Qu'elle m'écoutera sans déplaisir sans doute ;
Et vraiment je ne veux pas d'autre Paradis.J'expire une dernière fois et repose la flûte à mes pieds. Je jette un coup d'œil à Lila pensant qu'elle s'est endormie mais elle se trouve maintenant sur le dos et contemple le ciel. Ses yeux brillent tout autant que la nuit.
- Will ?
- Oui Lila ?
- Tu penses que Thomson va nous retrouver ?
- Je ne sais pas Lila.
- S'il nous rattrape, je te promets de lui mettre une bonne raclée.
Je rigole.
- C'est pas avec ton attitude de gringalet qu'on va s'en sortir Will ! Me lance Lila.
- Hé ho tu t'es vu du haut de tes 10 ans.
- Oui mais moi c'est pas pareil jsuis une fille.
Nouvelle attaque de Lila. À ce rythme je risque bien de finir KO.
- Demain nous irons chasser et après nous nous mettrons en route.
- Pour aller où ? Me risque-je de demander.
- Retrouver papa et maman, crevette !
Papa et maman sont morts. Je ne l'ai pas dit à Lila. L'idée de lui dire la vérité était trop effrayante, et je n'avais jamais cru que nous aurions réussi à nous échapper. Mais force est de constater que nous sommes dehors, et pour la première fois depuis longtemps, je revois des espaces inconnus. L'effrayante liberté que nous avons acquise est pesante face au poids de la contrainte.
- Bon aller, essayons de dormir. Tu viens ?
Je me rapproche de Lila pour la prendre des bras. Près du feu, nous pourchassons la moindre chaleur que nous pouvons acquérir pour pouvoir nous réchauffer. Aidé par ma grande taille, j'arrive à serrer entièrement ma sœur contre moi. Ses longs cheveux bruns se mêlent à la poussière et la saleté des derniers jours qui se trouvent sur mon visage. Près d'elle, j'arrive à sentir son pouls qui s'apaisent au fil de la nuit, son ventre qui bouge au rythme de son souffle et ses craintes qui brûlent dans le cœur des flammes. Lila. Comme une fleur que l'on a cueillie le long du chemin. Une fleur immortelle qui ne semble pas s'accorder à l'idée de faner, mais seulement danser au rythme de la vie. Comment fait-on, pour protéger une fleur si forte et si fragile ? Les questions se battent dans ma tête, et comme si Lila les entendait, elles se tournent vers moi et se serrent un peu plus contre ma poitrine.
Demain.
Demain ira mieux.
Le soir s'éteint ;
La nuit fait un pas ;
Mes yeux s’alourdissent ;
À demain Lila.
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Recueil De Maux
PoetryMes sentiments sont trop oppressée à l'intérieure de moi, j'ai besoin de partager ça.