Je ne sais plus vraiment quel jour cela a débuté, ni même depuis combien de temps. Au moins un an. Moins de deux.
De toute façon quand une société s'effondre, quel est l'intérêt de mesurer le temps ?
Plus rien ne sera jamais comme avant, j'en suis pertinemment consciente.
Est-ce un mal ? J'avoue ne plus me poser la question un moment. Leur survivre est devenue ma seule priorité.
Si, au début, nous entretenions la nostalgie de ces jours où tout paraissait si facile, nous nous sommes rapidement aperçus que les souvenirs du confort nous entravaient.
Vivre au jour le jour, les yeux rivés sur un passé heureux est un refuge agréable mais temporaire.
Comme lorsqu'un gosse s'enfouit sous sa couette quand il pense deviner la silhouette d'un monstre dans l'ombre de sa chambre. Il s'imagine à l'abri, protégé par ce bouclier qui lui semble magique.
Plus efficace que la cape d'invisibilité du petit Harry Potter, il se croit intouchable. Pourtant il le sait. Ce répit est temporaire. Le moment fatidique où il devra respirer à plein poumon arrivera et alors, il devra repousser sa couette devenue chape de plomb.
A ce moment là, le monstre d'ombres sera au pied de son lit, prêt à bondir.
Il en est de même pour nous.
Reclus dans cet appartement, nous savons qu'aucun des vestiges du passé que nous avons amoncelés ne feront disparaitre ces choses qui nous observent depuis la rue.
Hélas, parfois, je me surprends à me laisser à sourire d'un sarcasme du Dr Gregory House. Le volume de ma télé monté à fond pour couvrir le bruit du groupe électrogène.
Je ne suis pas parfaite, loin de là. Un jour où l'autre ils forceront les barricades et me surprendront.
Pourvu que je puisse finir l'intégrale des huit saisons avant.
Mais il me faut maintenant donner une chronologie à ces putains d'évènements.
Je commencerai donc par le premier jour où j'ai croisé un des sauvages.
Jour 1.
Je ne comprends toujours pas ce qu'il s'est passé.
Inès est morte sous mes yeux.
J'ai insisté toute la matinée pour que l'on déjeune ensemble. Elle n'était pas très chaude au départ. On bossait sur un dossier prise de tête. Mais à 13 heures, elle a finit par céder.
On est sorties, souriantes, du bureau et après un arrêt au Subway du coin, on s'est installées dans le parc. La journée était si belle...
Depuis des semaines il pleuvait non-stop, les gens faisaient la gueule. Mais là, crise, grisaille et mauvaise humeur s'évaporaient sous le soleil.
Si je n'avais pas insisté... Si je m'étais contentée d'avaler mes coupes-faim comme bien souvent...
Elle serait vivante.
Au lieu de ça alors que nous fumions une clope, repues et détendues, il est apparu.
Bien plus réaliste que dans un film d'horreur ou dans un cauchemar.
Ensanglanté, les vêtements en loques, le regard débordant de haine.
Mais, au cinéma comme dans les rêves, il manque un détail qui m'a profondément marquée aujourd'hui.
L'odeur.
Je crois que jamais je ne pourrai oublier l'odeur du sang qui m'a maculée quand ce type a massacré Inès.
Je l'ai vu, cette chose, arracher la langue de ma collègue.
J'ai vu ses doigts écarter ses mâchoires violemment, alors qu'elle était bien trop effrayée pour réagir.
J'ai entendu le craquement quand elles ont cédé.
J'ai vu ses doigts, déjà recouverts de sang séché, s'enfoncer dans sa langue.
Là j'ai hurlé.
Hurlé parce que ce n'était ni un cauchemar, ni un mauvais film.
L'odeur était là, me campant dans la réalité.
Une odeur ignoble.
J'ai fuis ensuite. Incapable d'aider mon amie.
Incapable de rester et la regarder mourir.
J'ai entendu le bruit d'une chose molle se déchirant et j'ai à nouveau hurlé.
Le type a été abattu quelques minutes plus tard.
C'est ce que la police m'a dit.
Un flic a parlé de plusieurs autres victimes, Inès a été la dernière. Un "foutu dingue" a rajouté le flic.
Un autre a parlé de la langue qu'il a arraché à Inès.
Je crois qu'il a dit que le tueur l'avait bouffé.
J'ai du mal entendre, y avait un beaucoup de sirènes.
Demain je dois aller faire ma déposition.
Aujourd'hui il parait que je suis en état de choc.
Ce soir j'ai appelé Bruno, mon ex. On est séparés depuis quelques semaines, mais je ne me sentais pas de rester seule.
Je le regrette déjà.
Je vais prendre un somnifère et dormir.
Il me saoule.
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Projet Z
HorrorUn livre mort né qui essayera malgré tout de survivre, comme l'héroïne dont il narre les aventures. Violence, sang, sexe et autres scènes dégueulasses à déconseiller aux plus jeunes ou aux âmes sensibles. A vrai dire je me déconseillerais même de l...