Le miroir de l'autre

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Le vaste grenier semblait s’étendre à l’infini. Il y avait de tout : des tableaux, des meubles anciens, bref, tout ce que l’on trouve habituellement dans ce genre d’endroit, y compris la poussière. Une malle se trouvait un peu à l’écart, éclairée par le soleil qui passait à travers une lucarne. Une jeune femme se tenait à genoux devant celle-ci, habillée simplement d’une chemise et d’un jean. Christina s’acharnait sur la serrure qui ne voulait pas céder. Lorsqu’elle fut sur le point d’abandonner, celle-ci s’ouvrit enfin. Avant de soulever le couvercle, la jeune femme jeta un coup d’œil autour d’elle, le regard nostalgique. Un tragique accident ayant emporté ses parents deux ans auparavant, elle avait hérité de cette demeure. Trouvant cette maison trop vaste pour elle seule, mais ne pouvant pas et ne voulant pas s’y résoudre à la vendre, elle avait proposé à Evelyne Adler, sa meilleure amie, de s’installer chez elle. Christina l’avait rencontrée il y a quatre ans sur son lieu de travail, à l’Opéra Garnier, où elle travaillait en tant que décoratrice, tandis qu’Evelyne était danseuse étoile dans le corps de ballet.

Reportant son attention sur la malle, la jeune femme l’ouvrit et regarda attentivement son contenu. Il n’y avait que quelques objets à l’intérieur : une petite boîte à bijoux, un foulard rouge, un épais dossier d’où dépassaient des feuilles et un masque. A la fois surprise et curieuse, elle se demandait à qui pouvaient bien avoir appartenu ces objets, qui semblaient assez anciens. Elle s’empara d’abord de la boîte à bijoux qui refermait une bague. La trouvant à son goût, Christina la passa à son annuaire droit et l’admira ensuite quelques instants. Puis, elle mit de côté le foulard rouge dont la couleur avait connu des jours meilleurs et prit le dossier. Elle souffla la poussière qui s’y trouvait dessus et un titre apparu. Mais elle n’arriva pas à déchiffrer le nom complet, qui avait été effacé avec le temps. A l’intérieur se trouvait une partition, qu’elle feuilleta rapidement, avant de la mettre de côté en se promettant de la jouer plus tard au piano. Pour finir, elle prit le masque, dernier objet que renfermait la malle. Etrangement, elle se sentait comme attirée par lui et soudain, elle eut une irrésistible envie de l’essayer. Elle se leva et se dirigea vers un miroir à pied qui se trouvait à quelques pas de la malle et posa le masque sur son visage. Amusée, elle observa son reflet dans la glace.

Soudain, un courant d’air glacé entra dans le grenier et, sans savoir pourquoi, elle eut la désagréable impression de n’être plus seule dans la pièce. Elle enleva le masque et se retourna doucement. Elle poussa un soupir de soulagement en constatant qu’il n’y avait personne d’autre à part elle. Christina secoua la tête en se disant que décidément, elle avait beaucoup trop d’imagination. Elle se retourna et ce qu’elle vit lui arracha un cri d’horreur. Devant elle, ou plus exactement dans le miroir, se tenait une silhouette masculine habillée de noir. Mais ce n’est pas cela qui la fit crier et laisser tomber le masque, mais la tête de mort que semblait avoir cet homme à la place du visage. Toute cette scène ne dura que quelques secondes. En effet, le temps que Christina réalise ce qui venait de se passer, la silhouette avait déjà disparu. Evelyne, qui avait entendu le cri de son amie en montant la voir, se tenait à présent à ses côtés.

- Que s’est-il passé? lui demanda-t-elle sur un ton inquiet.

- Je… j’ai cru voir quelque chose… Comme un fantôme…

- Tu travailles trop. Cela fait bientôt trois heures que tu fais du rangement dans ce grenier. Viens faire une pause.

Christina ne se fit pas prier et suivit son amie au salon. Quelques heures plus tard, cette dernière partit car elle avait une répétition qui allait se terminer assez tard. Après le départ d’Evelyne, la jeune femme se mit au piano et posa la partition trouvée dans la malle devant elle. Elle commença à jouer et des notes de musique s’élevèrent dans la pièce. Si à ce moment-là elle avait pu voir l’étrange scène qui se déroulait au grenier pendant qu’elle jouait, elle se serait arrêtée immédiatement. En effet, le masque qui lui avait causé une frayeur cet après-midi était entouré d’un halo blanc, comme si soudain il allait s’animer. Après avoir joué un long moment, Christina laissa le piano et la partition tels quels et monta se coucher. Elle eut juste le temps de se déshabiller et de s’allonger avant de sombrer dans un profond sommeil. Puis, elle se mit à rêver. Au début, c’était assez agréable. Elle se trouvait sur la scène de l’Opéra Garnier, en train de chanter. Ses collègues et amis, assis dans les premières rangées, l’applaudissaient. Tout à coup, tout ce monde disparu, la laissant seule. Christina se demandait ce qu’il lui arrivait lorsqu’elle aperçut une forme en noir portant une cape et un chapeau venir vers elle, sans qu’elle puisse toutefois distinguer son visage. Elle entendit ensuite la silhouette murmurer doucement son nom plusieurs fois. Subjuguée par cette voix qu’elle trouvait magnifique, elle s’avança dans sa direction, jusqu’à se trouver face à face avec cet inconnu. Elle ne voyait toujours pas son visage, mais elle sentait son souffle sur le sien. Il continuait à prononcer son nom, en disant qu’il était revenu pour elle, qu’il n’avait jamais cessé de l’aimer et qu’elle devait le suivre. La jeune femme ne comprenait pas ce qu’il voulait dire, avant qu’elle ne se rende compte que cette voix était réelle et que ce rêve venait de tourner au cauchemar lorsqu’en ouvrant les yeux, elle réalisa avec horreur qu’elle n’était plus seule dans la chambre. Effectivement, elle entendait une respiration autre que la sienne dans la pièce et cette voix lui parlait toujours. Cela devait certainement être un cambrioleur. Mais pourquoi donc cette fichue alarme, qui lui avait coûté une fortune, ne s’était-elle pas déclenchée ? En tremblant, elle tendit une main et chercha dans le noir l’interrupteur qu’elle ne trouva pas. Figée par la peur, elle n’osa plus bouger. Elle se voyait déjà le lendemain à la une des journaux avec en gros titre “Une jeune fille retrouvée assassinée chez elle”. Rassemblant tout son courage, elle décida de faire face et lui cria de s’en aller.

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