Le train avance, il fait chaud. Il s'immobilise devant la foule des usagers, pressés sans raison apparente d'y grimper. Ils se bousculent certains s'excusent, d'autres pas. Ah... Paris et son légendaire savoir-vivre... Autant ces messieurs, ces dames, étaient manièrés quand ils étaient dans les salons, les halls des hôtels chics, les bars à la mode, autant ils devenaient ou redevenaient sauvages dans les transports, avec une pointe d'égoïsme et d'incivilité inégalée dans de nombreux pays ne faisant de ce savoir-vivre un étendard brandi à la moindre occasion.
Il monte tranquillement dans le wagon le plus proche, le sourire aux lèvres. Bien qu'il ait oublié ses écouteurs, il a le coeur léger. Il fait beau, il fait chaud, pourquoi se plaindre. Il s'assoit sur un strapontin vacant, se replonge dans son livre. La trentaine, allure sportive, le livre aux mains semble être davantage un appat de plus à cette belle gueule, jean's slim, chemise blanche ajustée, col ouvert sur des pectoraux mis en valeur par un collier tribal.
Le train reste immobile, les passagers s'impatientent, les quolibets à l'adresse de la RATP (Régie Autonome de Transports Parisiens) fusent, les soupirs d'impatience se multiplient. Sur le quai, les usagers pour la branche desservant Cergy ne sont guère plus calmes, seul un couple semble hermétique à l'ambiance générale.
Il attire son attention. Ils ont l'air complices, mais il y a de la retenue dans leurs gestes. L'homme, élancé, moins d'un mètre quatre-vingt, métis, antillais probablement, cheveux grisonnant, sourire coquin, semble l'inviter à s'abandonner. Il voudrait la conduire dans ses rêves, où elle est encore plus belle, où il sait qu'il saura la combler.
Elle, la vingtaine, ou début trentaine, pense-t-il. Brune, lèvres pulpeuses, T-shirt blanc à motifs un peu passés ou est-ce un style vintage, yeux amande marrons, un brin rieurs, jupe en jeans, trop longue pour mettre en valeur le sex-appeal naturel émanant de cette jeune femme, dont le sac et les chaussures, parachevant sa tenue, révélaient qu'elle a mis en berne sa féminité.
Le signal sonore retentit, une nouvelle horde de passagers saute dans le wagon. Baiser furtif et elle se joint à la foule qui l'a forcé à se lever, lui écrasant le pied au passage.
- "Merci!"
- "Désolée..." rieuse, à peine un regard pour lui, qu'elle se retourne pour saluer de la main, cet homme dont le sourire feint, ne peut masquer la tristesse de la voir s'eloigner, dans le tintamarre du train dont l'accélération, offre une bouffée d'air chaud, à sa cargaison de voyageurs en nage, énervés, excités, par l'attente et chaleur.
- "Ça vous fait rire de m'écraser le pied!" souriant.
Son sourire se fige, interloquée, elle balbutie.
- "Mais..., je ne rie pas...!"
- "Désolé... Je vous taquinais." dit-il rapidement gêné par sa maladresse.
- "Je suis jaloux de votre ami que vous venez de quitter!" reprend-t-il, tout de suite pour ne pas rompre le dialogue.
- "Oh...! Il ne faut pas" répond-t-elle en souriant de nouveau. "Ce n'est qu'un ami! Un très bon ami, mais un ami!" comme si elle voulait s'en perduader.
"Yes!" en bon chasseur, il sait qu'une partie du boulot est faite. Elle a répondu, elle sourit, elle a mis de la distance avec son précédent interlocuteur.
- "Pourtant, il m'a semblé qu'il voudrait plus..."
- "Peut-être... Mais, il sait qu'entre nous, je ne peux lui offrir que mon amitié... Il le sait très bien et il s'en contente. C'est un très bon ami, fidèle et fiable." Pendant ces quelques mots son visage s'était fait plus grave, puis s'était détendu.
- "C'est bon pour moi, alors...!" en lui plantant ses yeux marron-vert dans ses amandes, tout à coup intimidés, sans arme pour répondre à un tel assaut.
- "Ce n'est pas parce que c'est un ami que je suis libre!" finit-elle par lancer, sur la défensive.