Elle est assise, là, derrière son ordinateur, lisant les nouvelles choses que les gens du lycée arrivent à inventer sur sa vie. Des rumeurs, des insultes, des montages photos. Beaucoup oublient, sûrement volontairement, qu'elle peut voir tout ça. Pourtant aujourd'hui elle s'estime chanceuse, l'humiliation n'a pas dépassé la barrière du virtuelle. Parfois, certains passent au réel et il est souvent dur pour elle de retenir ses larmes de couler quand elle entend des "t'es moches" ou des "regardes la la grosse qui avance vers nous" toujours avec tant de finesse. Mais elle reste forte et garde ses larmes pour elle jusqu'à temps qu'elle arrive dans son refuge que sont devenues les toilettes du lycée. Jamais elle n'est allée avertir un professeur et encore moins l'infirmière ou la psycologue du lycée. Ses parents pensent qu'elle fait sa "crise d'ado" et n'y prêtent donc pas attention. Quant à son petit frère, il est bien trop jeune pour l'aider et pour avoir à supporter sa soeur dans cet état là. Bloquée dans cet engrenage, elle ne voit qu'une seule issue. Peut être que c'est ça qu'ils attendent, qu'elle parte. Souvent cette idée lui a traversé l'esprit, caché dans sa chambre, elle a tout ce qu'il faut, différentes façon de partir, plus ou moins lentement et avec plus ou moins de douleur. Jamais elle n'avait trouvé la force, mais ce soir "l'été arrive attention à miss graisse" aura été l'élément déclencheur. Une feuille, un crayon, elle écrit une lettre à sa famille, expliquant son geste, et ce qu'elle supportait depuis deux ans. Elle rebouche son stylo, descend, et va les embrasser une dernière fois, leur souhaitant une bonne nuit. Elle a choisi sa méthode, une boîte de médicament cachée sous son lit l'aidera à s'en aller de ce monde où elle n'était visiblement pas la bienvenue. La nuit passe et le lendemain matin la maison se réveille comme un jour tout à fait normal. On entend de dehors une mère appeler sa fille, habituellement ponctuelle et se réveillant en temps et en heure, mais ce matin n'est pas comme les autres. Ce matin, c'est un petit frère déboussolé qui descend prendre son petit déjeuner. Il murmure "elle ne viendra pas" avant de tendre à sa mère la lettre qu'il avait trouvé sur le torse froid de sa soeur déjà partie depuis plusieurs heures. La femme crie, pleure et court dans la chambre de sa fille. Non madame, ce n'est pas une blague, c'est bien votre fille là, dans ce lit, sans vie. Tout lui revient en tête, les mauvaises notes, les cours séchés, c'était un appel à l'aide et non une rébellion. C'est une mère meutrie qui annoncera la nouvelle au père de famille. Personne n'avait deviné son mal être, un vent de culpabilité s'introduit dans la maison, mais c'est trop tard. Cette culpabilité touchera également les responsables, et ceux qui ont fait l'erreur de se taire, personne n'a pensé que ça irai si loin. Les fautifs ne seront aucunement inquiétés, faute de preuves. Des hommages seront mis en place dans toute la région, mais rien ne ramènera la défunte.
"Elle" ça aurait pu être "lui".
"Elle" ça aurait pu être un de vos proches.
Ne vous taisez jamais, dénoncez pendant qu'il en est encore temps, avant que le sentiment de culpabilité ne vous envahisse. Le harcèlement et l'humiliation touchent des centaines d'étudiants chaque année et la seule solution est de parler.
Parlez.