C'était d'un point de vue nostalgique que l'homme regardait tout ce qui l'entourait. Le banc sur lequel il était assit était froid et humide, tout comme la température de l'air ambiant.
Rares étaient les gens qui prenaient le temps de s'assoir ces temps-ci. Les gens marchaient rapidement, trop rapidement et évitaient les obstacles en une valse endiablée. Seul cet homme avait choisis de s'assoir plutôt que de marcher vers sa prochaine destination. Lui qui était déjà vieux estimait qu'il n'avait plus d'endroit à visiter. Il ne lui restait plus de futur, alors il préférait s'assoir et observer cette danse frénétique.
Il avait l'impression que le temps l'érodait comme l'eau use la pierre et la réduit à l'état de sable. À l'état d'entitée solide et tangible, mais qui coule comme l'eau d'un robinet qu'on ne peut fermer. Comme le temps, qu'on ne peut manipuler ni arrêter de s'écouler, même s'il est là et qu'il nous use. Il avait fait partie de cette valse pendant toute sa vie, et encore. Ses yeux vitreux ainsi que son esprit embrumés par l'âge n'arrivaient à en saisir le sens.
N'était-ce pas ironique, de poursuivre quelque chose toute sa vie et que rendu à sa chute finale, ne pas être capable d'en expliquer la nature? Il espérait que dans l'autre monde, on lui explique pourquoi les humains étaient tous si pressés. Pressés, avide de pouvoir, de prestige et de jeunesse. Au cours de sa vie, le vieil homme y avait songé plusieurs fois. Il en était venu à se dire que la vieillesse existait pour ramener l'être égoïste qu'il était à la réalité, pour lui rappeler à quel point le temps filait vite.
Encore quelques années plus tôt, la présence rassurante de sa femme de longue date était là pour lui rappeler que le temps pouvait s'arrêter l'espace de quelques minutes, lorsqu'on est avec quelqu'un qu'on aime réellement. Maintenant il se retrouvait seul.
vieux professeur se leva en un grincement semblable à celui d'un arbre centenaire. Il sentait, que cela allait se faire le soir venu. Peut être étais-ce un désir, une appréhension, une peur, ou simplement la curiosité, mais il le sentait et le savait.
Il se remit donc en route vers chez lui, marchant dans le sens inverse du trafic de piéton. Vers le passé, vers les sources, vers sa vieille maison de bois.
Si le temps avait emporté sa jeunesse et sa vivacité, le reste de sa famille avait été éloigné par son courant souvent plus puissant que le plus fort des amours. Une carte postale de n'importe où lui arrivait parfois, de la part de n'importe qui faisant partie de sa famille. << Bonne année Natsuki-san! >>.
<< Bons voeux de Wakkanai, Natsuki-sensei!>>. Les mots, il les lisait, puis les symboles perdaient de leurs signification et le papier de sa fraicheur. L'encre de sa couleur noire, et l'importance du message de sa capitalité, alors que la carte était entreposée au fond d'un tiroir quelconque dans une pièce quelconque.
Le vieillard, celui qu'on appelait Natsuki-sensei, servit à manger à son chien baptisé Shuu, avant de lui-même déguster quelques boulettes de riz peu goûteuses. Lorsqu'il sentit que le temps était venu, il se rendit dans sa petite chambre, et alla s'étendre sur le futon raide.
N'allait-il jamais finir par savoir? Il était préoccupé, il sentait que sa vie n'avait jamais été complète, puisque cette partie du casse tête était toujours absente. Tout ce périple, le bonheur de trouver l'âme soeur, la tristesse de ne pas pouvoir concevoir la vie, le sentiment d'être comblé, puis la solitude et le fait d'être un professeur qui ne savait rien. Il savait plein de choses, comme la somme de deux et deux, quatre, mais il ne savait pas pourquoi. Pourquoi naître, pourquoi grandir, pourquoi apprendre, pourquoi courrir, et pourquoi mourrir.
La sensation d'incapacité, il commença à la sentir au bout de ses pieds. Lentement, il la sentait progresser le long de ses jambes maigrichonnes, faisant disparaître la douleur ainsi que toute sensation. Il avait l'impression de sentir son corp se désintegrer, comme dans les films de science fiction. Son esprit par contre, il fourmillait d'activité. Dans ses derniers moments, le vieil homme commença à pleurer le fait qu'il ne saurait jamais rien. Les larmes coulaient le long de ses joues lisses, pour couler jusque dans le col de sa chemise. Seulement, il ne le sentait plus. Peut-être sa vessie s'était elle déjà relâchée, mais il ne pourrait jamais le savoir.
Sa derniere pensée fut comme la foudre lézardant le ciel sombre et illuminant le monde l'espace d'une fraction de seconde. On sait qu'elle est là, mais le temps qu'on se retourne pour la regarder, d'elle il ne reste plus rien que le tonnerre, l'écho témoignant de cette présence qui jadis, était.
Cette fois le tonnerre suivant la foudre prit la forme d'un silence de mort, prouvant qu'au fond, il n'y avait rien d'autre à savoir que la somme de deux et deux, quatre.