J.L.D

Chapitre 1

« Dernier repas », pensa-t-elle.

Puis aussitôt : « c'est idiot de penser comme ça, dans 4 mois maximum je serai de retour... C'est tellement stupide de leur part d'en faire toute une histoire, on dirait que je pars à la guerre... ». La jeune fille rejoignit d'un pas lourd la salle à manger, où ses parents avaient déjà pris place à table. Sans dire un mot, elle s'installa et se servit. L'atmosphère était lourde. Après plusieurs bouchées, personne n'avait encore prononcé une parole. Elle ne savait pas vraiment à quoi s'attendre : une énième dispute à ce sujet, ou bien ses parents allaient-ils préférer l'ignorer purement et simplement ? Sa mère rompit le silence devenu pesant.

- Ton père t'emmènera.

Le ton cassant et froid n'appelait pas de réponse. Elle se risqua cependant à une nouvelle tentative.

- La prod' a demandé à ce qu'il y ait des proches dans le public pour la première...

- Caroline, l'interrompit sèchement sa mère.

- Ce serait bien si papa pouvait rester au moins la soirée !

- Hors de question.

- Mais enfin maman je vais avoir l'air de quoi !

Ce fut la remarque de trop.

- Tu vas avoir l'air de quoi, Caroline ? Tu vas avoir l'air de quoi ? Il n'y a que ça qui te préoccupe ? Ta petite personne ? Et nous alors, tu t'es au moins posé la question, de quoi nous allons avoir l'air ? Non bien sûr non, ça ne t'a pas effleuré l'esprit...

- Mais...

- On te paie tes études, on te nourrit, on fait tout, absolument tout, pour que tu réussisses ta vie et que tu sois heureuse, et toi, tu t'inscris en cachette à ces conneries d'émissions de télé-réalité complètement débiles...

- Tu n'en sais rien, c'est une toute nouvelle émission ! Puis de toutes façons je te rappelle que je suis majeure, je suis libre !

- Libre de quoi ? Tu ne travailles pas, sans nous tu serais à la rue sans argent ! On te loge, on te nourrit, et on ne t'a jamais rien demandé...

- C'est le rôle des parents !

- Et le rôle de leur enfant est de se montrer respectueux et de travailler dur ! Pas de gaspiller leur temps à faire les guignols devant...

Sa mère étouffa un sanglot et sortit de table sans finir sa phrase, laissant Caroline et son père face à face. Celui-ci, qui n'avait alors pas soufflé un mot, lança un regard dans lequel la jeune fille ne lit qu'une peine immense, lui faisant plus mal au cœur que la colère retentissante de sa mère.

- Caroline... murmura-t-il, pourquoi ? Qu'est-ce qui t'a pris ?

Sans vraiment s'en rendre compte, elle s'attendait à ce que son père la soutienne. Il était généralement plus détendu, plus serein que sa mère. Elle aurait aimé qu'il soit fier qu'elle ait été sélectionnée parmi plus de 10 000 candidats, qu'elle ait retenu l'attention du jury, qu'elle ait osé se lancer. Elle s'imaginait certes qu'il aurait été surpris, mais agréablement. Or, la déception et la profonde tristesse qu'elle lisait dans son regard lui faisaient l'effet d'un seau d'eau glacé lancé en pleine face. Toutes les bonnes raisons qui avaient été les siennes lorsqu'elle s'était inscrite aux présélections, six mois plus tôt, lui échappaient désormais. Elle s'abstient de lui répondre, non par orgueil, mais parce que tous ses arguments lui apparaissaient sous un nouveau jour. Elle eut honte.