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Il y a un homme dehors, qui marche lentement sur le bitume. Il pleut un peu, ses pas font claquer l'eau au sol.
Sa démarche est lunaire, on croirait qu'il ne vient pas d'ici. Il regarde autour de lui, mais ses yeux ne s'attachent pas, comme si la ville et ses lignes abruptes avait disparu.
Je suis cachée derrière un rideau bleu, mes doigts l'écartent doucement. Je ne respire pas fort pour mieux me fondre dans le noir.
L'homme a des gouttes sur les joues. Il tremble, et ses cheveux collés au front lui dessinent une auréole brune. Insensiblement, il accélère sa marche, puis en vient à courir, et alors, il se tape contre les murs froids des immeubles gris. Il a la bouche grand-ouverte, et je ne sais pas s'il crie, ou si c'est le vent. Peut être les deux. Le bruit sourd de son corps contre le ciment me remplit les oreilles. Encore, encore, l'homme se fracasse contre tout ce qu'il trouve.
Quelle est cette force qui me pousse à l'observer en silence ?
Il fait des va et vient dans la rue, cognant ses bras contre les lampadaires qui n'éclairent plus.
Le bruit de son corps, de ses bras, le vent, la pluie, son corps toujours, et l'auréole brune. Je ne comprends plus et je respire fort.
Il se laisse tomber à terre sur le trottoir d'en face. Respire fort, fort.
Je vois sa poitrine se soulever en saccades, il me fait dos, mais je devine que les gouttes coulent fort, fort sur son visage.

Je me lève. Je mets mes pieds l'un devant l'autre sans réfléchir, je pose ma main sur la poignée, et d'une pression j'ouvre, et les gouttes qui dansent sur le sol, et la lune qui se reflète dans chacune d'entre elles, et le vent dans mes jambes nues.
L'homme ne me sent pas encore, et malgré ma proximité je n'arrive pas à dissocier nettement son corps du bitume. Je ne sais pas non plus si c'est lui ou la nuit qui pleure.
Il agrippe au rebord d'une marche une main blanche.
Je m'approche encore, j'ai l'impression d'être à côté de son monde, en décalé. L'odeur de goudron humide enveloppe mes pas.

Je glisse.

Il se redresse brusquement, et l'auréole brune découvre un regard glacé, perdu dans ma direction.
Je suis au sol, les genoux égratignés, comme reprenant mes esprits.
Quelle force ? Quelle force ?
Je le fixe aussi.

Je crois que je rentre dans son monde, un peu.

Il ne bouge plus, mais ses mains tremblent toujours. Le vent soulève un peu ses cheveux, et je ne peux plus me détacher de ses yeux.
Respire fort, fort.

Je reste là longtemps.
Il reste là aussi.

Je comprends que c'est l'homme qui pleure, et que la nuit l'accompagne.

L'homme ferme enfin les yeux, mes yeux, doucement, et alors, je sais qu'il n'y a rien à dire pour lui, rien à promettre, mais que ce moment est à part, à nous, que le monde est en pause autour.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 24, 2015 ⏰

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