Le ciel était gris ce jour-là. De gros nuages menaçaient le calme de ce matin de juin. Pourtant, il était là. Ni l'heure matinale ni la menace imminente de la pluie ne l'aurait fait reculer. Non, pas aujourd'hui. Debout, immobile comme les statues alentour, son regard était fixe. Ses yeux étaient une parfaite réplique du ciel au dessus de lui. Nuageux... avec un risque important de débordement. Brillants, ils ne quittaient pas les fines lettres gravées qui lui faisaient face. Le vide des lieux faisait écho au sien. Le silence l'enveloppait mais il n'en était pas gêné. L'habitude l'en empêchait. Cet endroit était devenu beaucoup trop familier. Les allées caillouteuses, les fleurs, les pierres et les noms, toujours plus nombreux. Les visages aussi. La mère de famille rendant visite à son mari tous les mardis, ou bien le vieux monsieur qu'il voyait chaque fin de semaine. Lui aussi avait fini par faire parti du paysage. Mais en ce calme matin de juin, les lieux étaient déserts.
Un coup de vent lui ébouriffa les cheveux, faisant s'échouer une goûte salée sur sa joue. Il cligna des yeux, quittant momentanément les fines lettres gravées et ce visage souriant. Le ciel se voila comme pour suivre ses pensées. Une deuxième goûte salée quitta ses yeux, roulant jusque dans son cou. Aucun son ne passa la barrière de ses lèvres tandis que ses genoux heurtaient le sol. Sur la surface dure et froide de la pierre, les mots et les images se voilèrent. Le monde devint flou lorsque ses yeux finirent par déborder. Pourtant, il se força à fixer son visage. Ces traits qu'il avait aimés et protégés. Ces traits qu'il n'avait pas su sauver.
Lee Daeyeol
27.03.95 – 12.06.08
Ça faisait cinq ans aujourd'hui. Cinq années que son petit frère l'avait quitté. Et depuis, sa vie était vide et silencieuse. Tout comme ce cimetière. Dégageant maladroitement ses cheveux de ses yeux embrumés, il déposa l'unique lys blanc qu'il avait acheté. Il avait voulu être le premier. Ne croiser ni son père ni sa mère. Eviter une énième scène de ses parents. Il avait été assez jugé par ses géniteurs. Son échec avait brisé sa famille. La mort de Daeyeol avait entrainée tous le monde dans son sillage. La maladie s'était déclarée l'année de ses huit ans. Entre rémission et rechute, leur vie avait été rythmée par les séjours à l'hôpital du petit dernier. Quand la greffe avait été acceptée, l'espoir leur avait rendu le sourire. Mais tout avait dégénéré. Il avait suffit d'un mot. Rejet. Fermant les yeux, il laissa son visage faire face aux nuages. Un grondement sourd lui vrilla les entrailles, et le ciel explosa.
Les premières goûtes se mêlèrent à ses larmes. Ne bougeant pas, il accueilli la pluie avec soulagement. Son flot de pensées se calma tandis que l'eau glissait sur son corps. Il se retrouva bientôt trempé jusqu'aux os. Immobile, les yeux toujours clôts, il laissa la pluie chasser ses larmes. Puis, les cheveux plaqués sur son front et les vêtements collés à sa peau, il porta de nouveau son regard sur la photo de son frère. Il fixa ces yeux identiques aux siens, ce sourire qu'ils avaient hérités de leur mère et fini par s'attarder sur le foulard qui cachait son absence de cheveux. Ils avaient pris cette photo à peine une semaine avant les premières complications. C'était la dernière fois qu'il l'avait vu sourire.
« Je suis désolé. »
Un murmure éraillé que la pluie noya à moitié. Le ciel se déchainait tandis qu'il frissonnait faiblement. Le vide, le silence et la solitude, il les méritait. Son sort avait été scellé au moment même ou ce mot avait été prononcé. Rejet. La greffe ne prenait pas. Il n'avait pas été capable de la sauver.
Il resta longtemps immobile, silhouette solitaire sous cette pluie battante. Il ne parla pas. Il se contenta seulement d'observer les fines lettres gravées sur la pierre comme s'il pouvait les effacer. Et il le voulait. Il le voulait vraiment. Parfois, il se prenait à rêver. Daeyeol aurait fêté ses 18 ans au début de l'année. Il serait allé à l'université. Il aurait eu des amis, des tas d'amis. Et le cancer aurait disparu. Mais ce n'était qu'un rêve, une illusion. Il le savait. Et c'était bien ça qui faisait aussi mal. C'était une douleur sourde et profonde qui faisait partie de lui depuis les cinq dernières années. C'était un poids qu'il traînait chaque jour. Il avait construit sa vie autour de cette perte. Quitter ses parents avait été le premier pas. Leurs regards, leurs actions, leurs réflexions... Il avait voulu fuir ces accusations permanentes. Il leur avait fallu un responsable, il le comprenait. Sa moelle n'avait pas sauvé Daeyeol. Lui aussi se sentait coupable. Il était donc parti. À 16 ans, il avait suivi sa voie. Entrainements, cours et auditions. Tout était bon pour ne plus penser aux derniers jours de son frère. Ça avait été difficile. Mais il avait réussi.
Infinite. Son groupe, ses amis. Ils l'avaient aidé sans même le savoir. Avec eux, il avait retrouvé son sourire et sa bonne humeur. Malgré tout, le fantôme de son frère le poursuivait. Ils n'étaient pas au courant. Non, Sungyeol avait préféré taire son passé. Mais bien sur, ils avaient fini par en savoir plus. Le concerné n'en savait rien. Enfermé dans son monde de souvenirs et de douleur, l'extérieur n'avait plus autant d'impact sur lui. C'était d'autant plus valable à mesure que l'anniversaire de la mort de Daeyeol approchait. Et ce matin, le groupe s'était réveillé avec un membre en moins. Sungyeol s'était éclipsé avant l'aube. Sans bruit, il avait quitté son lit. Doucement, il s'était habillé. Sans un regard en arrière, il était sorti du dortoir.
Et maintenant, il se trouvait là. Immobile, seul au milieu de ces pierres froides. Les yeux rougis par ses larmes et le corps tremblant. Il ne remarqua pas le petit groupe qui s'approchait de lui. Serrés les uns contre les autres sous deux grands parapluie, le visage fermé, le reste des Infinite avançait doucement. Puis, ils s'arrêtèrent à quelques mètres de leur ami. Juste assez pour entendre ses paroles entrecoupées de sanglots.
« Tu aurais du vivre. Tu aurais tellement du vivre... Tu étais leur rayon de soleil. Ça aurai du marcher. POURQUOI CA N'A PAS MARCHE ? »
Un cri désespéré. Un appel plein de regrets et de tristesse lancé au ciel déchainé. Un cri de rage lancé contre lui-même. Un blâme destiné au Dieu que priaient inlassablement ses parents. Des paroles en l'air. Des espoirs perdus. Envolés. Son poing rencontra une première fois le sol boueux tandis que son corps fébrile se courbait. Un coup, puis deux, trois... La logique l'avait abandonnée, seul sa colère et son chagrin parlaient pour lui. Sans un mot, une première silhouette quitta l'abri de toile tendue. S'agenouillant au côté de Sungyeol, il resta là, simple présence dans le brouillard qui l'entourait. Puis, une deuxième personne se plaça près de lui. Ainsi de suite, les six membres restant entourèrent leur ami. Ce dernier ne les vit pas tout de suite, frappant toujours le sol en s'écorchant les mains. Ce n'est que lorsque son voisin de droite les lui saisit qu'il remarqua leur présence. Se débattant en gémissant, il lutta vainement quelques instants avant de s'abandonner dans l'étreinte rassurante de son leader. Là, sous cette pluie battante, face au visage éternellement souriant de son frère, il n'était plus seul. Et, tandis que son corps tremblait encore sous les dernières gouttes de pluie, un rayon de soleil fendit les nuages.
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[OS] Tombe la pluie {Sungyeol}
FanfictionUn grondement sourd lui vrilla les entrailles, et le ciel explosa.