Le voyage

Paul se frotta les mains pour tenter de réchauffer ses doigts gelés. Malgré son manteau épais et sa grosse écharpe en laine, il avait froid. C'était un matin de janvier et il faisait un temps de chien dans Paris. Le ciel qui surplombait la ville était d'un gris maussade, et un vent glacial lui fouettai régulièrement le visage par bourrasques.

Pour le moment, Il n'avait envie que de deux choses : de fumer, et de rentrer chez lui s'enfouir sous les couvertures de son lit douiller. Il accéléra le pas et un moins d'un quart heure il arriva devant son immeuble. C'était un homme sportif et il prenait habituellement les escaliers, mais ce jour-là, parce qu'il était frigorifié, il préféra prendre l'ascenseur. Il franchit la porte de son appartement. Des chevalets qui supportait des toiles colorés et de grandes sculptures en argiles lui bloquaient le passage. Paul avait transformé son petit studio en un atelier d'art. Il avait été admis à l'université des beaux arts de Paris et travaillait avec acharnement pour obtenir un diplôme. Le jeune homme parvint non sans difficultés à entrer dans sa chambre. Il quitta ses chaussures et s'assit sur son lit. Contrairement à son salon, celle-ci était vide. Elle ne contenait qu'un bureau, un lit et une petite commode. Sur le mur jaune citron, un petit dessin gribouillé à la hâte était accroché. Paul l'observa pendant quelques minutes en allumant une cigarette. Il se passa la main dans ses cheveux bouclés. C'était lui qui l'avait dessiné et il en était très fier.

Un jour, il était rentré dans un café et il avait vu une jaune dame, d'environ trente ans, accoudée au bar. Elle n'était pas particulièrement belle, mais elle avait de jolis yeux rieurs, une bouche toute rose et une belle chevelure de jais. Elle avait une manière de se tenir si désinvolte tout en étant contrôlée, un sourire si plaisant qu'il s'était dirigé vers elle, lui demandant s'il pouvait la dessiner. Etonnée, la jeune femme avait acceptée, et avait posé pour lui pendant quelques minutes. Il avait réussi à dessiner l'éclat de ses yeux et la magie de son rire.

Il avait dessiné sur un morceau de papier à moitié déchiré et un peu froissé.

Après avoir avalé une assiette de pâtes, Paul s'endormit tôt ce soir là, serein.

Le lendemain il partit de bonne heure. La voisine venait faire un ménage superficiel chez lui chaque semaine pour une somme modeste d'argent et il ne voulait pas la déranger pendant son travail. Celle-ci arriva dans la matinée. C'était un grosse femme toute rouge pas très adroite, qui attachait ses cheveux en un chignon plus fonctionnel qu'élégant. Elle ouvrit la fenêtre en grand pour aérer la chambre et une bourrasque de vent décrocha le dessin du mur. Lorsqu'elle vit le petit papier par terre, elle le ramassa et le jeta à la poubelle.

Agnès était gelée. La nuit qu'elle avait passée dehors était une des plus froides depuis plusieurs mois, et cette fois-ci, elle était sûre d'être très malade. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois qu'elle avait dormi dans un lit et mangé sur une table, mais elle tenait bon. Et il le fallait, il fallait survivre, et ne surtout pas se rendre dans ces foyers remplis de SDF qui l'effrayaient. Elle longea la rue et regarda dans les poubelles si elle trouvait quelque chose d'intéressant. Elle ajusta son châle troué imprégné d'une odeur de moisi et choisi une poubelle au hasard. Elle y dénicha un journal de la veille qu'elle parcouru des yeux sous les regards étonnés des passants, puis trouva un petit papier et le déplia. Agnès découvrit, surprise, le portrait d'une jeune femme, pas très jolie à vrai dire. Elle le fourra dans la poche de son jean et continua sa route.

Lorsque la nuit tomba, Agnès avait le ventre plein. Elle avait mangé une demi baguette de pain et s'était abritée sous le renfoncement d'une grande porte pour dormir. Elle regarda le papier qu'elle avait ramassé, celui avec la jeune femme dessinée et plongea son regard dans ses yeux. La personne lui rappelait sa jeune soeur qu'elle n'avait pas vue depuis des années. Elle serra le dessin contre son coeur et s'endormit.