Les Êtres de Cristal : T1 - Ses Yeux Bleu Saphir

Prologue

_ Ouvre cette porte, Abe.

Le ton de la femme était sans appel. La sentinelle frissonna, indécis. Malgré sa haute taille, il avait l'air frêle. Ses courts cheveux blonds collaient à son front, signe flagrant de son trouble. Au loin, on entendait déjà les bruits glaçants des premiers combats. Abe tremblait et peinait à garder son calme. Il était jeune, encore novice. Il ne contrôlait pas assez son don et ses yeux grenats luisaient d'un éclat troublant dans l'obscurité du couloir. Au contraire, la jeune femme qui lui faisait face paraissait parfaitement stable. Ce n'était évidemment pas une surprise ; Serena restait l'élite de l'élite, malgré les fautes qu'on lui reprochait.

_ Je ne me répéterai pas trois fois, Abraham ! Ouvre la porte !

Elle sembla soudain effrayée et serra un peu plus le petit paquet qu'elle tenait tout contre sa poitrine.

_ D-désolé, Serena, mais les ordres sont les ordres. Tu ne dois pas sortir.

Serena serra les dents et jeta un rapide coup d'œil en arrière. Elle n'avait pas le droit d'être là. Ils l'avaient consignée dans sa chambre. Emprisonnée, serait une expression plus adapté, néanmoins elle ne leur en voulait pas. Elle avait compris qu'ils avaient peur. Des autres. D'elle.

Le bébé brailla, une fois. Ramenant les yeux vers le petit visage rose de sa fille, Serena se sentit exploser d'amour pour ce petit bout de femme. Abe sursauta, se pencha vers elle pour détailler le paquet.

_ Tu as pris l'enfant ! s'écria-t-il d'une voix tremblante. Tu ne peux pas partir et l'emmener avec toi ! C'est trop dangereux.

_ Et bientôt cet endroit sera un enfer, tu le sais aussi bien que moi. Il faut que je la mette en sécurité.

Un frottement dans l'ombre du couloir les fit sursauter. Se tournant dans un même mouvement, ils rencontrèrent une paire d'iris ambrées qui les fixaient. Sortant du coin obscur dans lequel il était caché, l'homme s'adressa à la sentinelle d'une voix impérieuse, à des années lumières du regard blessé qu'il adressait à Serena.

_ Ils ont réussi à passer la première barrière. Vas rejoindre les autres.

_ M-mais, l-le port-

L'homme le fusilla de ses yeux orangés, le stoppant brusquement. Abraham les regarda tour à tour avant de filer sans demander son reste. Serena fixait le sol, en attendant l'ordre de repartir dans sa chambre. Elle préparait déjà ses arguments et s'impatienta quand l'homme resta muré dans son silence accusateur. Trop frustrée pour attendre plus longtemps, elle inspira profondément et ouvrit la bouche. Il la coupa dans son élan, la faisant soupirer intérieurement.

_ Où comptes-tu aller ?

Elle le regarda sans y croire, penchant légèrement la tête sur le côté.

_ J-je, bégaya-t-elle avant de prendre une grande inspiration. San Francisco. Ben, je suis tellement désolée.

Le dénommé Ben l'ignora, préférant se tourner vers le globe doré qui se trouvait sur l'étagère creusée à même le mur. Il fit tourner les deux cadrans en argent et le bruit caractéristique d'un engrenage mécanique en mouvement brisa peu après le silence tendu. Serena prit le temps de contempler une dernière fois celui qu'elle avait aimé depuis aussi longtemps qu'elle puisse s'en souvenir. Qu'elle aimait toujours.

Grand, il la dépassait d'une tête au moins. De larges épaules, une musculature de dieu grec, il avait tout pour plaire. Elle avait une certaine préférence pour son visage. La mâchoire carrée, les traits durs et volontaires. Ses cheveux noirs qui lui tombait sur les yeux, lui donnant un air encore plus sexy et mystérieux. Et ses yeux. Ces iris ambrées, aussi ardentes et chaleureuses que le soleil l'avaient fait fondre plus d'une fois. Jamais elle ne se lassait de lui. Elle aurait tellement préféré que les derniers événements ne soient pas aussi désastreux pour leur relation. Que n'aurait-elle pas donné pour retrouver leur complicité légendaire ?

Mais elle avait fait son choix. Un choix qui ne laissait aucune alternative. Dès qu'elle dépasserait le portail, elle deviendrait une Stãtis. Une ennemie. Elle l'avait compris au moment même où les premières alarmes avaient retenti dans le fort. Rien, pas même son amour pour Ben ne pouvait la faire dévier de ses plans.

Elle le dépassa, se tint devant la porte fermée en faisant fi de la douleur sourde qui lui comprimait la poitrine. Être décidée ne voulait pas dire que le quitter était facile. Elle regrettait tellement de ne pouvoir se serrer contre lui une dernière fois.

_ Bon. Je.. dit-elle, la gorge nouée par l'émotion. Adieu, Ben. Que le Couple Céleste illumine ton chemin.

Presque machinalement, il lui répondit alors qu'elle ouvrait le portail.

_ Et qu'Ils éclairent le tien, qu'importe où il te mènera.

Elle entra dans le portail précipitamment, alors qu'un sanglot déchirant menaçait de la submerger.

Elle sentit le picotement familier de ses molécules en train de se décomposer avant de reprendre forme devant un immeuble dans une banlieue de San Francisco. Au milieu de la nuit, les rues étaient silencieuses, il n'y avait pas un chat. Selena serra un peu plus son trésor contre elle et posa un pied sur une marche du perron. Derrière elle, les ondes en provenance des résidus du portail semblaient l'appeler. Elle baissa les yeux vers son bébé et regretta tout le malentendu qu'avait engendrer ses derniers choix. Ben ne savait même pas que ce petit bout d'ange était de lui et pour cause, les Stãtis avaient enlevée Serena avant qu'elle ait pu le lui dire. Après, elle n'avait plus eu l'occasion de le faire et venait d'en perdre une à l'instant. Que n'aurait-elle pas donné pour revenir en arrière ?

La belle blonde soupira alors que les larmes coulaient le long de ses joues. Ce n'était pas dans ses habitudes de fuir la bataille. Elle était maintenant tiraillée entre la protection de sa fille et ses instincts biologiques. Elle était une Protectrice, avant d'être une femme ou une mère. Une Guerrière.

Elle prit sa décision, bien que cela lui brisait le coeur. Elle recula et s'éloigne de la face défraichi de l'immeuble, et se mit à courir avec l'enfant dans les bras. Elle ressentait encore les ondes du portail, comme si, de l'autre côté, Ben ne pouvait se résigner à tuer définitivement dans l'œuf tout moyen de retour en arrière pour leur couple. Serena accéléra.

Là. Lors de sa première visite, elle avait remarqué la bâtisse accueillante. Au dessus de la porte, en grosse lettres rouges, on avait peint les mots «Orphelinat St. John». Bien que ça lui brisait le coeur, elle sonna, embrassa et tint fermement contre elle la chair de sa chair en attendant que quelqu'un vienne. Quand elle entendit des pas dans l'entrée, elle déposa un dernier baiser sur la joue rose et murmura en déposant le paquet à terre.

_ Pardonne-moi, mon trésor. Je reviendrai dès que tout sera fini. Je te le promets.

La Protectrice étouffa un sanglot quand elle pinça le bras de son enfant pour la faire pleurer. Elle s'enfuit alors, courant à en perdre l'haleine. Elle laissait derrière elle un morceau d'elle-même et ça la brisait. Elle sauta dans le portail sur le point de se refermer. Droit dans les bras de Benjamin. Et alors que les bruits des combats se faisait de plus en plus fort, elle s'accrocha à lui en pleurs.

Elle avait peut-être laisser son coeur sur le porche d'un orphelinat à San Francisco, mais elle venait de retrouver son âme dans l'étreinte puissante de son amour. Son fardeau se faisait légèrement moins lourd, désormais qu'elle avait retrouver sa place. Dans un même élan, comme un seul être, Serena et Ben se détachèrent et se précipitèrent vers le coeur de la bataille, comme avant. Ils étaient plus fort que jamais, réunis. Serena se promit que s'ils gagnaient contre les Stãtis ce soir, elle avouerait tout à ses proches et irait récupéré sa petite Dany avec Ben. Quel qu'en soit le prix.

À des centaines de kilomètres de là, Mrs Crimson-Price recueillait une nouvelle abandonnée à l'orphelinat. Sur le drap dans lequel la pauvre enfant était enroulée, on avait brodé en fils dorés et argentés ces mots, suivit de ce qui lui semblait le prénom de l'orpheline.

Née du Couple céleste, fille de Selene et Helios, enfant bénie de la Lune et du Soleil.

Danaé.