Ce jour-là

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Les vacances d'été. Tout le monde aime les grandes vacances d'été. Plus de collège, plus de devoirs ce n'est que jeux, baignades et fêtes.Pour ma part, chaque jour de vacances durant deux mois, est porteur d'un événement. Nous n'avons jamais une journée de libre pour nous reposer dans un hamac ou pour faire des mots croisés. Je me plains,alors que ce n'est pas si mal. Un jour, nos cousins de Paris viennent dormir chez nous; le lendemain, les parents organisent une fête avec les voisins; puis nous partons une semaine chez mes grands-parents maternels à la campagne... C'est ma vie. Parfois, c'est trop.Parfois, je suis heureuse. Ce jour-là, j'étais heureuse.


13 juillet 2011. Il fait chaud. Cela fait déjà deux semaines que les vacances ont commencé et que nous devons lever la voix pour nous faire entendre par-dessus l'assourdissant, mais rassurant, chant des cigales. Nous avons organisé une fête avec des amis et de la famille que nous n'avons pas vus depuis longtemps. Je suis assise sur le muret qui borde le terrain de boules. À mes côtés, mon oncle et parrain Luc, mes sœurs, Jade et Thelma, ma grande-tante Hélène et ma cousine Joséphine. Les joueurs de boules -mon père Philippe, mon frère Valentin, un cousin lointain dont j'ai oublié le nom et François, un ami de mes parents- sont répartis en deux équipes.Mon père, concentré, se baisse légèrement. C'est sa dernière boule. Si elle atterrit près du cochonnet, son équipe remporte le point. Il fait balancer son bras. Le téléphone sonne à l'intérieur de la maison. Je me lève et longe le muret pour ne pas gêner le jeu. Je vois ma mère sortir de la maison, le téléphone à l'oreille. Je vais me rasseoir sous les protestations de ma petite sœur quand je lui bouscule les genoux. La partie est finie, je nesais pas qui a gagné. Je demande à Joséphine. Elle me dit qu'elle ne sait pas non plus car elle discutait avec Hélène. Thelma me tirepar la manche. Elle veut que j'aille jouer avec elle aux "Polly-Pockets". Je hoche gentiment la tête. Joséphine me lance un regard interrogateur. Je lui dis que je reviens vite. C'est alors que ma mère apparaît brusquement au bout du terrain de boules. Livide. Je peux lire la peur dans ses yeux. Mon cœur accélère. Elle fait un signe à Papa qui s'approche. Ma mère se penche et lui murmure quelques mots à l'oreille. Mon père, hagard, se recule etouvre de grands yeux. Ses mains se mettent à trembler. Il ouvre la bouche mais rien ne sort. Il la referme et se dirige rapidement vers la maison, suivi de près par ma mère. Je ne sais plus où j'en suis. Une seule question me revient. Que se passe-t-il ? Pendant tout le reste de la journée, je repasse cette question dans ma tête.J'envisage le pire et difficilement le meilleur. La fête est finie et tous les invités sont partis. C'est l'heure du dîner. Celui-ci se déroule normalement sauf que je remarque que ma mère a les yeux rouges. Le soir, je traîne dans le salon. Je cherche ma mère. Elle est dans la salle de bain. Je m'y rends, lui tapote l'épaule et, la regardant dans les yeux, lui demande:

"Qu'est-ce qu'il se passe ?"

Elle ouvre de grands yeux. Elle est surprise, c'est sûr. Elle s'assoit sur le rebord de la baignoire et me prend les mains. Elle déclare:

"C'est Anouchka. Elle vient d'être héliportée vers l'hôpital de Lyon."

Un énorme coup de poing dans le cœur, c'est ce que je ressens sur le moment.Bizarrement mes yeux sont secs.


24 novembre 2013. Je revois régulièrement ma cousine, Anouchka. Nous allons la voir à Lyon. Anouchka ne parle plus. Ne mange plus. Ne bouge plus. Ne nous voit plus. Ne lit plus. N'écrit plus. Ne marche plus... Ma mère dit qu'elle est dans un coma "pauci-relationnel". Cela ne fait qu'un an qu'elle a ré-appris à respirer toute seule.

Anouchka où es-tu ? Est-ce que tu reviendras ?

Moi je t'attendrai. À jamais.   

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