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Vous connaissez cette expression. Quand vous dites que vous comprenez une personne, que vous la connaissez plus que vous ne vous connaissez vous-même... Je pensais comme beaucoup. C'est kitsch, c'est usé, c'est stupide. Mais maintenant, je comprends ce que ça veut dire. Pourtant je ne suis pas du genre à croire à ces conneries. Je croyais être au dessus de tout ça. Je n'y ai jamais cru. Je vis dans le sang depuis tellement longtemps, que ce genre de choses abstraites et utopiques ne m'inspiraient que mépris. Actions et résultats sont mon éducation. Il en a toujours été ainsi.
Après tout, les gens sont toujours une déception. L'humanité et tout ça. La trahison, la corruption, la cruauté, la peine, la haine sont inévitables... En tout temps, et de partout, elles existent et règnent. Mais... Lui, il m'a fait croire à autre chose. Quel idiot. Il perd son temps avec moi. Je l'ai déçu. Je ne voulais pas m'écouter, j'avais peur de l'écouter lui, et j'ai réagi de la seule façon qui me soit acceptable...
J'espère qu'il n'est pas mort. Il faut qu'il soit en vie, quelque part... Il le doit.
Parce que je ne pourrai pas me le pardonner, s'il disparaît. S'il est embarqué la-dedans, c'est de ma faute. Et je dois lui dire merci. Au moins ça, "merci". J'ai ouvert les yeux. Je vais le lui prouver. Il avait raison, nous sommes pareils. Même si je ne comprends pas ce que ça veut dire ni pourquoi c'est ainsi. Ni même si c'est réellement possible.
"Alors sois vie, je t'en prie. Ne me fais pas me dire qu'il était trop tard..."
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Après cette prière et une profonde inspiration, je relève la tête et reprends mon flingue par la crosse. Je l'empoigne aussi fort que me le permettent mes doigts blessés, me décolle du mur et fais demi-tour. En montant mes bras, je fais un pas vers la droite, en position. Je suis pile dans son champ de vision, et elle dans le mien. Je ferme un œil. Trop tard. Pendant une demi-seconde, elle ne m'a pas vu. Pas le choix. Je tire, une unique balle, sa tête est projetée en arrière. Elle s'écroule. Morte. Le bruit encore dans mes oreilles, l'image du sang giclant dans ma tête, je me mets à courir, de toutes mes forces. Je sens le flux habituel inonder mon cerveau, il parcourt mon corps et se l'approprie. Je ne sens plus la fatigue, mon corps ne me fait plus mal. Mes poumons s'irradient, mon cœur explose, mon corps s'envole.
Et pourtant... Putain. Moi qui contrôle toujours parfaitement mes émotions sur le terrain, me voilà terrorisée.
Avoir peur pour quelqu'un, ça craint. Je croyais y être habituée, mais j'ai grandi dans un monde où l'on m'a imposé d'accepter la mort. Tant de personnes sont déjà parties. Pour ne pas souffrir, j'ai appris à déconnecter... Mais c'est à cause de moi qu'il est devenu un agent. Pas les autres. A cause de moi qu'il se retrouve ici. Les autres, je ne leur dois rien... Et si je veux être honnête, au moins avec moi-même, je dirai que s'il n'avait pas été celui qu'il est, je ne serai pas dans cet état, là, maintenant.
A cause de lui, j'ai changé. Pas assez pour comprendre ce que je suis devenue, mais trop pour revenir en arrière. "Bordel, je pige même plus ce que je pense..." Je cours aussi vite que me le permet mon corps. Mes cuisses chauffent, mes poumons brûlent, mais j'occulte. J'entends au loin des coups de feu et des cris, mais je ne me retourne pas. J'entre dans le bâtiment et la température monte, la fumée me brouille la vue.
"Je vais te retrouver, alors attend."
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Sur/Vivre
Science FictionKilian a vingt-deux ans. De bonnes études, un bon travail, de bons amis. Un jour, il rencontre la NSF, organisation mystérieuse qui lui demande de rejoindre ses rangs. Elle, elle appartient à cette organisation depuis sa naissance. La plupart du te...