Chapitre 1

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Une pile de documents s'affale sur mon bureau. Le temps ne semble pas avancé et je ne cesse de regarder l'horloge. J'ai l'autorisation de partir plus tôt. C'était tout ce que j'attendais depuis des heures : foutre le camp d'ici. Habituellement, mes journées de travails sont beaucoup plus paisibles. Plus de deux-cents appels aujourd'hui, sans compter les dossiers que j'avais à remplir. Parfois, le métier de réceptionniste n'est pas de tout repos. Mon patron semblait héritable, ce qui me heurta comme un ricochet. Mon humeur dépend beaucoup des autres, malheureusement. Je me dirige vers la porte de sortie en saluant mes collègues. J'ouvre mon vieux parapluie rouge qui est malgré tout dans un état convenable. De grosse goutes viennent s'affaisser sur sa toile, émettant un son désagréable. Une vraie température foireuse. En fait, j'apprécierais cette sonorité habituellement. Aujourd'hui n'est simplement pas ma journée.                                                                                                                 J'entre dans ma voiture lorsque je reçois un appel téléphonique de la part de l'enseignante de Sam. Ce n'est pas la première fois qu'elle m'appelle à son sujet, mais celle-ci ne m'a jamais demandé de me rendre à l'école pour en parler. Il n'est pas du genre à faire des bêtises et je sais très bien qu'elle n'allait point me parler d'un mauvais comportement.

Dans les corridors de l'école, plusieurs membres du personnel marchent d'un pas pressé et occupé, ce qui est étonnant puisque les cours sont terminés. C'est une grande école bondée d'élèves, alors il est normal qu'il y ait autant de mouvement, j'imagine. Il fait maintenant un an que Sam poursuit son apprentissage à SethField School et je n'arrive toujours pas m'orienter. Après trente minutes de recherche, je trouve enfin sa classe.

Je cogne à la porte fermée.

- Madame Weston, vous pouvez entrer dans la classe, j'entend sourdement.

J'ouvre la porte rapidement.  

Mon fils me regarde d'un air à la fois embarrassé et épuisé.

- Bonjour, lui dis-je d'un air concerné.

On s'assoie, tous les trois ensembles, autour d'une petite table de classe circulaire.

Après un bref moment, elle dit :

- Comme vous le savez, madame Weston...

- Oh, mais appeler moi Kate! Avec le nombre de fois que vous m'avez appelé! Je lui dis en souriant d'un air farceur.

Elle me sourit poliment, mais je remarque aussi tôt que ma technique pour dissiper le malaise ne fait qu'empirée la tension dans l'air.

L'enseignante racle un peu sa gorge :

- Bien, Kate, vous savez que votre fils Sam eut quelques problèmes depuis qu'il est à l'école. Il affirme souvent être étourdi et je dois souvent le sortir de la classe pour qu'il aille prendre l'air.

- Sam... Sam a ces genres de problème depuis qu'il est bébé, lui dit-je en regardant mon fils d'un air soucieux.

- D'accord... Mais aujourd'hui, quelque chose de plus grave s'est produit. Il s'est évanoui pendant au moins cinq minutes. J'ai presque appelé les urgences.

Un silence règne d'en la classe et seulement nos regards se croisent.

- Bien... Je vais m'assurer de prendre un rendez-vous chez le médecin, dit-je en regardant mon fils.

- Non ! S'exclame-t-elle en m'empoignant le bras, mais elle le relâche aussitôt, gênée par sa promptitude. Je veux dire, non ! Dit-elle d'un ton plus quiet. Il n'est pas nécessaire de vous donner tout ce mal pour de simples migraines. Il est normal d'avoir parfois des palpitations cardiaques lors de l'adolescence, et même des étourdissements, enchaine-t-elle en se levant. Je voulais simplement vous faire part du phénomène que vit présentement votre fils, car... car... c'est... une importante étape de sa vie ! Fait-elle, heureuse d'avoir retrouvé ses mots. Vous savez qu'il aura treize ans dans quelques semaines. Il sera bientôt un grand garçon !

Elle fait une pause, marche quelques pas vers sont classeur et range des feuilles.

- Si vous voulez, je connais des médicaments qui calment ses effets, en pharmacie...

Quelques autres mots concernant mon fils s'échangent entre elle et moi. J'aime bien madame Pentersen. Elle est une de ces enseignantes qui appelle ses élèves par leur vrai nom, et non simplement par leur numéro d'unité formative. Celle-ci donne beaucoup de valeur à ses apprentis. Surtout à Sam. Même si aujourd'hui elle me semblait plus stresser qu'à l'habitude, elle est une personne au grand cœur qui mérite d'instruire nos enfants. Cette femme n'a que trente-deux ans et elle détient beaucoup plus de sagesse que la plupart de nos ainés. J'espère être de sa maturité lorsque j'atteindrai son âge.

Sam et moi sortons de la classe par la suite et je le guide à l'aide de ma main sur son dos. C'est aussi une manière pour moi de le réconforter. Madame Pentersen nous accorde un dernier sourire à la fois inquiet et penaud. Elle flatte d'un coup les cheveux de Sam, en voyant aussi la douleur imprégnée dans ses yeux.  Je sens mon cœur de mère chaviré à l'idée de l'avoir laissé souffrir pendant toutes ces années, mais auparavant je n'avais pas les moyens de payer des médicaments quelconques. Maintenant, avec mon augmentation de salaire, je suis déterminée à aider mon fils. Je ne veux point qu'il se sente anormal ou délaissé. Il a changé deux fois d'école primaire puisque des incidents comme ceux-ci se produisaient. Comme à chaque fois, la direction me contactait en laissant simplement un ''désolée, madame Weston. Votre fils est un modèle pour les gens qu'il entoure, mais nous ne voulons plus gérer les problèmes qu'il apporte dans notre école'' ou un ''votre fils nuit à notre environnement d'apprentissage''. Ces mots me frustraient chaque fois.

Nous rentrons dans la voiture. Aucun mot n'est échangé. Je le regarde simplement dans le rétroviseur et lui à travers la fenêtre recouvert de buée que la pluie avait laissée en cadeau. Son visage crispé me délivre un vrai châtiment. Je déteste le voir triste. Cela me rappelle que des mauvais souvenirs. En fait, il me fait penser à moi, quand j'étais jeune, lorsque ma mère me laissait à moi-même. Je ne veux pas ressembler à ma mère. Je ne veux pas refléter la personne à qui j'en voudrai certainement pour le reste de ma vie. De m'avoir abandonnée. Délaissée. Il fait des années que je n'ai pas de ses nouvelles. Au moment où elle a considéré que j'aurais pu me débrouiller seule, elle m'a littéralement extirpé de sa vie. Elle n'a jamais eu la chance de prendre son petit-fils dans ses bras. Et puis, tant pis pour elle. Elle finira surement toute seule, puisque mon père ''m'a'' aussi abandonné, lorsque j'avais trois ans. Par contre, maintenant j'ai une famille, moi.

Des petites gouttes glissent au long des fenêtres pour finalement aboutir ensemble. Cela me fait immédiatement penser à Nate. Comme si c'était un message ou une signification. Ou bien suis-je seulement atterrée par l'évènement malencontreux qui venait de se produire. Je secoue la tête, rejetant les pensés qui me hantent. J'allume la radio pour détendre l'atmosphère – chose dont je ne suis pas très douée – et une vieille chanson de mon groupe préférée joue. Une chanson digne du paysage qui nous entoure : le son de la guitare s'harmonisait avec le bruit des goûtes clapotant sur le parebrise. J'affaisse mon coude sur la porte de ma vieille fourgonnette et dépose ma tête sur ma main, tout en conduisant de manière nonchalante, épuisée par les défis que m'apporte la vie.

Entre Nos ExistencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant