Il demanda au chauffeur de taxi de le laisser à la Madeleine. Il faisait moins chaud que les autres jours et l'on pouvait marcher à condition de choisir le trottoir de l'ombre.
Le café était à l'angle de la rue et du boulevard Haussmann. Une salle vide, un long comptoir surmonté d'étagères, comme dans un self-service. Louis s'assit à l'une des tables du fond. Cet inconnu viendrait-il au rendez-vous ? Les deux portes étaient ouvertes, l'une sur la rue et l'autre sur le boulevard, à cause de la chaleur.
- « Monsieur M. Louis Dupont? »
Il avait reconnu la voix. Un homme d'une quarantaine d'années se tenait devant lui, accompagné d'une fille plus jeune que lui.
- « Gilles Casanova »
C'était la même voix menaçante. Il désignait la fille :
- « Une amie...Claire. »
Louis demeurait sur la banquette, immobile. Ils s'assirent tous deux, en face de lui.
- « Veuillez nous excuser... Nous sommes un peu en retard... »
- « Voilà votre carnet », dit-il à louis, sur un ton ironique qui semblait cacher une certaine gêne.
Et il sortit de la poche de sa veste le carnet d'adresses. Il le posa sur la table en le couvrant de la paume de la main, les doigts écartés. On aurait dit qu'il voulait empêcher louis de le prendre.
La fille se tenait légèrement en retrait, comme si elle ne voulait pas attirer l'attention sur elle, une brune d'une trentaine d'années, les cheveux mi- longs. Elle portait une chemise et un pantalon noirs à la mode. Elle jeta un regard inquiet sur louis. À cause de ses pommettes et de ses yeux bridés, il se demanda si elle n'était pas d'origine vietnamienne– ou chinoise.
- « Et où avez-vous trouvé ce carnet ?
- Par terre, sous une banquette du buffet de la gare de Lyon. »
Il lui tendit le carnet d'adresses. Louis l'enfonça vite dans sa poche. En effet, il se souvint que le jour de son départ pour la Côte d'Azur il était arrivé en avance à la gare de Lyon et qu'il s'était assis au buffet du premier étage.
« Vous voulez boire quelque chose ? » demanda Gilles.
Louis eut envie de leur fausser compagnie.
Mais il changea d'avis car il avait trop chaud.
« Un Schweppes.
- Essaie de trouver quelqu'un pour prendre la commande. Ce sera un café pour moi », dit gilles, en se tournant vers la fille.
Celle-ci se leva aussitôt. Apparemment, elle avait l'habitude de lui obéir.
- « Ça devait être gênant pour vous d'avoir perdu ce carnet... »
- « Vous savez, dit louis, je ne téléphone pratiquement plus. »
La fille revenait vers leur table et reprit sa place.
- « Ils ne servent plus à cette heure. Ils vont fermer. »
- « Vous travaillez dans le coin ? demanda louis.
- Dans une agence de publicité, rue Lafayette. L'agence Rubi.
- Et vous aussi ? » Il s'était tourné vers la fille.
- « Non », dit gilles sans laisser le temps de répondre à la fille. « Elle ne fait rien pour le moment. »
- « Je vais être franc avec vous... » Il se penchait vers louis, « Je me suis permis de feuilleter votre carnet d'adresses... une simple curiosité... Vous ne m'en voulez pas ? »
Louis le regarda droit dans les yeux.
- « Pourquoi vous en voudrais-je ? »
Un silence....
Puis :
- « Il y a quelqu'un dont j'ai trouvé le nom dans votre carnet d'adresses. J'aimerais que vous me donniez des renseignements sur lui... Excusez mon indiscrétion...
- De qui s'agit-il ? » demanda louis
Il éprouvait brusquement le besoin de fuir.
« D'un certain Gaëtan Kervel. »
Il avait prononcé le prénom et le nom en articulant bien les syllabes, comme pour éveiller la mémoire assoupie de son interlocuteur.
- « Vous dites ?
- Gaëtan Kervel. »
Louis sortit de sa poche le carnet d'adresses et l'ouvrit à la lettre K. Il lut le nom, tout en haut de la page, mais ce nom n'évoquait rien pour lui.
- « Je ne vois pas qui ça peut être.
- Vraiment ? »
L'autre paraissait déçu.
- « Ce nom ne vous dit rien ?
- Non. »
- « C'est à cause d'un fait divers sur lequel j'ai réuni pas mal de documentation, reprit l'autre. Ce nom est cité. Voilà... »
Il paraissait brusquement sur la défensive.
- « Quel genre de fait divers ? »
- « Un très ancien fait divers... Je voudrais écrire un article là-dessus... Au début, je faisais du journalisme, vous savez... »
Louis devait vraiment leur fausser compagnie au plus vite, sinon cet homme allait lui raconter sa vie.
- « Je suis désolé, lui dit-il. J'ai oublié ce Gaëtan... À mon âge, on a des pertes de mémoire... Je dois malheureusement vous quitter... »
Il se leva et leur serra la main à tous les deux. Il partit en marchant très vite, sans se retourner.
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Un mystère
Mystery / ThrillerLouis, écrivain reçoit le coup de fil d’un certain Gilles Casanova, qui souhaite lui remettre son carnet d’adresses, perdu le mois précédent. Il accepte de rencontrer Gilles dans un café. Celui-ci lui fait l’impression d’être un maître chanteur. Il...