P r o l o g u e

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C r u z.

Assise dans l'herbe verte du cimetière de Riverside, j'écoute les reprises du groupe Postmodern Jukebox tout en essayant de raffermir les traits de mon dessin. N'y arrivant pas, je jette mon crayon dans l'herbe un peu plus loin et soupire un coup.

Pourquoi depuis que je suis partie je n'y arrive plus ?

Je secoue la tête et la pose sur mes genoux qui sont remonté contre moi, tentant tant bien que mal de me sortir toutes ces idées noires de la tête. La psy me l'a bien dit, ce n'est pas en partant que je vais tout oublier, mais je ne l'ai pas écoutée et suis partie. Bien sûr, elle a dû m'aider, sinon le juge n'aurait jamais accepté la demande d'émancipation, mais elle n'approuve toujours pas.

Voici où j'en suis seule. Sans maman, papa, ni même Leah.

La gamine que j'étais ne l'aurait pas pensé, pas plus qu'elle n'aurait pu imaginer travailler à mi-temps dans un Starbucks et faire les gardes de nuits dans un refuge d'animaux pour pouvoir s'acheter à manger, payer ses taxes et surtout, ne pas se retrouver à la rue. Heureusement que je reçois tout de même l'argent de l'État et que Patricia, ma psy m'invite souvent à souper chez elle, sinon, ça serait pas la joie... Je me demande comment je ne me retrouve pas encore à faire la planche et à m'occuper de douze enfants...

- Cruz ?, me demande Vanessa en me jetant un regard interrogateur.

- Oui, tu peux venir dormir chez moi, soupirai-je à moitié.

Elle éclate d'un rire nerveux et me sert dans ses bras en guise de remerciement, quand ça va pas fort chez Nessa, elle vient dormir chez moi, parfois avec son petit frère, je la comprends et je sais qu'elle aurait fait pareil pour moi si j'en avais eu besoin.

- Il c'est encore passé quoi?, demandai-je en m'affalant dans l'herbe qui entoure notre lycée.

- Ils se sont engueulé super fort, papa c'est barré avec Nico et je me retrouve seule avec maman. Même si p'pa savait que je viendrai chez toi...

Les parents de Nessa ont la situation inversée de beaucoup de gens : c'est la mère qui boit, le père qui doit supporter. Quand la mère de mon amie à un coup de trop dans le nez, elle insulte et deviens invivable pour ses enfants et son mari.

- Entre gosses de tarés on se comprend, tente de plaisanter Nessa. Il pourrait y avoir pire, oublie pas.

Nous savons toutes les deux qu'il y a pire comme il y a mieux, alors nous ne parlons plus de ça et nous contentons de rire comme les adolescentes que nous sommes censées être.

Rien ne peut changer ça.

W e s l e y.

« JE SORS ! »

J'hurle mais personne ne m'entend. Il y a simplement le silence, qui me renvoit mes mots, comme un écho. Et les notes de musiques qui font trembler les murs. M'man est Dieu-sait-où, 'toute manière, elle n'est jamais là. Et P'pa sans doute encore au lit, mal rasé et bourré au petit matin. Et il y a Landon, mon p'tit frère qui fait trembler les murs, qui m'empêche parfois (rarement) d'entendre les voix qui se bousculent dans ma tête. Je claque la porte furieusement, enfile mes chaussures et mon t-shirt en descendant les escaliers.

Je panique, mon sang pulse à mes oreilles, mon cœur bat trop fort.

C'est samedi, aujourd'hui. C'est le jour de Luce, de ma petite Luce.

Je vais être en retard, elle va m'en vouloir, me regarder avec sa petite tête de chien battu et croiser les bras contre sa menue poitrine, boudeuse.

Alors, je cours. Je dois avoir l'air d'avoir sauté du lit. Je cours, pour éviter de trop penser. Parce que mes rêves sont torturés, mes pensées chamboulées, mon cœur en vrac. Parce qu'une fillette m'a tiré le pied qui dépassait de sous la couette pour me réveiller. Pour que je ne l'oublie pas. Bordel, je suis hanté par une gamine de neuf ans. Ça fait cinq ans. Elle aurait dû en avoir quatorze, aujourd'hui. Je lui aurai fais des pancakes, elle aurait eu du sirop d'érable sur le nez et elle m'aurait raconté les amours de Peggy, son ours en peluche.

Devant le cimetière, je suis en sueur. Je passe une main nerveuse dans mes cheveux en longeant les allées, le soleil est en haut dans le ciel, je suis venu tellement de fois que je sais qu'il y a quatorze tombes en partant de la droite jusqu'à la sienne. Je fais même plus attention aux noms gravés sur le marbre. Je m'écroule devant sa tombe, assis en tailleur, en train de tirer sur un fil de mon t-shirt.

« Hello, Lucey. » je chuchote. « Tout va bien, à la maison. T'en fais pas, petit ange. Je vais bien. T'inquiète pas. Repose toi, maintenant. T'as plus à te soucier de moi. » Mensonge.

Les souvenirs me reviennent en vagues. Ils sont brûlants, vifs, toujours présents, invisibles mais jamais bien loin. On étaient allés à la plage, ce jour-là. C'était l'été, notre dernier jour de vacances. Luce portait un joli maillot de bain rose fluo et des tongs jaunes citron, elle avait perdu une dent, du coup elle avait un sourire un peu édenté. Mais son sourire c'était le plus beau. Avec Alex, on voulait aller à la fête foraine mais Luce, elle, voulait se baigner. M'man et P'pa nous avaient interdits. « S'il te plaît ! » elle avait chouiné. J'a pas pu lui dire non. Alors on est allés. Ils faisaient beau. Elle riait fort. Moi et Alex on avait décidés de faire la course. Puis je me rappelle plus bien ce qui c'est passé. C'est flou, c'est embrouillé, c'est gribouillis.

« Non, Wes, non ! » son cri déchirant reste gravé dans ma mémoire, c'est atroce.

On a fini nos vacances à l'hôpital.

Ma petite sœur est morte ce jour-là.

Et c'est entièrement ma faute.


Perdus Sous Les LuciolesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant