Céleste

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À Corentin

Je commandai le plat du jour du restaurant, me plaisant énormément. J'attendais, assis, ne faisant rien de particulier. S'il on avait défini mon activité, on eût dit que je réfléchissais. Mon regard passait frénétiquement d'une tête à une autre dans cet endroit. Je tournai finalement la tête au dehors. Je l'aperçue. Cela faisait des années que je ne l'avais pas vue. Les cheveux au vent, elle s'avançait sur le trottoir. Je l'avais bien reconnue ... C'était elle. Ça ne pouvait être qu'elle. Les yeux rivés sur la jeune femme, je me souvenais. Je me revoyais plus jeune, perdu au milieu des jeux et des rires enfantins.

On m'apporta un peu de pain ainsi que le verre de vin rouge, un Bordeaux - ils ont, d'après moi, le meilleur goût - que j'avais commandé. J'en bus une gorgée avant de reposer le verre sur la table de bois. J'entrevis, dans la boisson, mon regard ; ce même regard que j'avais décidé d'adopter. Ce visage me plut. Cette bouche rosée, ce nez fin, ces cheveux bruns presque noirs et ces yeux bleus ... Tout cela m'appartenait. Tout, même les petites rides qui commençaient à se faire voir, çà et là. Je me perdais, m'en allant doucement de ce restaurant. Mes souvenirs fusaient, tels de l'eau claire.

Céleste, elle répondait à ce prénom. Elle était arrivée alors que je n'étais que très jeune. Le professeur écrivit son nom complet, Céleste Neres, au tableau tandis que nous dûmes la contempler. Elle n'avait rien d'extraordinaire, mis à part ce grain de beauté juste au dessus de la bouche. Timide, elle ne dit mot. Peut-être devait-elle être gênée d'arriver dans cette classe que moi et mes camarades formions. Ne trouvant qu'une seule place tout au fond de la salle, elle alla s'y installer. Le ruban bleu clair qu'elle portait dans ses cheveux, pour faire bonne impression, je présume ; volait au gré de sa marche hésitante. Elle s'assit. Les murmures commencèrent. Je n'arrivais à décrocher mon regard d'elle, comme si j'étais obnubilé par son charme singulier.

Chaque fois, je tentais de parler à cette petite fille ... Cette petite fille si seule ... Seulement, à chacune de ces fois, un de mes amis venait me chercher, m'attirant dans le groupe afin de jouer à quelque partie de football. Lorsque j'attrapais la balle et que j'arrivais à l'enfoncer au fond du but, au lieu de me tourner vers mes coéquipiers, mes yeux se posaient sur Céleste. J'étais comme intrigué. Puis, je repartais avec mes camarades, comme pour mieux me fondre dans la masse que nous formions.

Je n'étais pas un modèle. Je n'étais pas le plus intelligent, ni le plus brillant en sport, mais je me défendais dans chaque discipline. Je restais souvent en retrait, n'osant participer que très rarement. On m'appréciait pour ma simple personne. Je n'étais pas quelqu'un d'extravagant, ni de très différent. Je savais rire à chaque blague, même peu amusante. En fait, j'étais ce genre de personne sur qui vous pouvez vous rabattre. Disons que j'étais renfermé. Un peu, tout au plus. Loin d'être rêveur, j'étais patient, je faisais mon nid tranquillement.

Très vite, Céleste resta loin des autres filles de la classe, communément appelées « pestes ». Elle dessinait. Je la voyais tout le temps gribouiller sur un cahier, lequel ne semblait destiné qu'à cela. Elle formait une sorte de petite boule, se recroquevillant sur elle-même, dans l'attente interminable qu'elle rentrât chez elle. Puis, on l'interrogeait. Elle arrivait au tableau, la tête basse, prenant, avec maladresse, la craie que lui tendait le professeur. Elle commençait à peine à écrire, avec beaucoup de rondeurs, que, déjà, les projectiles pleuvaient. Mes yeux se plissaient naturellement, mes sourcils se relevaient tandis que mon corps était impuissant, ne voulant participer à ces vacheries. Céleste continuait ses mouvements, ne disant rien, la robe dentelée tachetée de mille et une couleur de craie.

Allongé sur mon lit, je ne pouvais m'empêcher de penser à elle. Je n'étais pas amoureux, je le savais. J'étais inquiet. J'essayais de m'imaginer ce qu'elle ressentait, ce qu'elle faisait, pendant que moi j'étais blotti dans ma chambre. Peut-être devait-elle pleurer. Je ne savais pas. J'aurais voulu faire quelque chose afin de l'aider. Je devais faire quelque chose. Cela ne pouvait plus durer.

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