« Il a neigé à minuit »

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    Dix sept heures. C'est l'heure à laquelle Adam pense pour la première fois à ses parents tandis qu'Elias replace la grosse guirlande rouge qui n'arrête pas d'écraser lourdement les fines branches du grand sapin.

Il n'avait jusqu'alors jamais passé Noël sans sa famille. Assis sur le canapé en cuir de mauvais goût du salon de son ami, il imagine ses deux parents, seuls dans la maison, préparant dans un silence de plomb le réveillon qu'ils passeront ensemble sans leur unique enfant.

— Tu m'entends, mec ? J'ai l'impression de parler à un mur. À un vieux mur tout pourri, même.

— La ferme, Sid.

— Oh, ça va, je rigole. On se détend !

— Je vais t'en mettre une.

— Pas ce soir, beau gosse. Le vingt-quatre décembre, tout le monde s'aime. Tu peux même m'embrasser si tu veux.

— Plutôt crever.

— Tu n'es pas très aimable, Adam. Tu devrais aller faire un tour sous le gui, rouler une petite pelle et revenir me voir que l'on parle sérieusement. Je dois te raconter à propos de cette fille, Jane, et...

— Navré de ne pas pouvoir entendre ta petite histoire maintenant. Je préfère aller me faire le gui.

Adam accompagne sa pique d'un sourire en coin auquel Sid répond par un charmant geste du majeur. Sid est son meilleur ami depuis toujours. Il est du genre chiant, lourd, peu sûr de lui et maladroit avec ceux qu'il ne connaît pas. Mais il est par dessus-tout quelqu'un de profondément gentil et attachant. Même s'il aimerait que les filles le qualifient autrement.

La nostalgie qu'éprouvait Adam il y a quelques instants à peine a disparu. Dorénavant, il ne voit plus ses parents qu'en train de lui hurler dessus pour tout et n'importe quoi et il se félicite d'avoir enfin quitté l'étouffant cocon familial en ce jour si spécial. Ils lui donneront ses cadeaux demain, de toute façon.

Adam continue son chemin jusque dans la cuisine où il retrouve Aubrey qui fume à la fenêtre.

— T'as pas oublié mon cadeau j'espère, lance-t-elle malicieusement en lui proposant de tirer un coup.

Adam refuse et lui rit au nez.

— Tu crois encore au père Noël, toi.

— Très drôle.

Il s'appuie sur le comptoir près du réfrigérateur et dévisage Aubrey attentivement.

— C'est la combientième ? interroge-t-il en désignant la cigarette.

Elle lui souffle de la fumée au visage et lâche:

— On s'en fout.

— Tes yeux sont complètement pétés et ton haleine sent comme un pot d'échappement. Combien ?

Aubrey ne répond pas mais son coup d'œil furtif vers ses pieds la trahit. De nombreux paquets jonchent le sol. Adam se demande comment il a fait pour ne pas les remarquer. Il soupire et regarde son amie, l'air désapprobateur.

— Tu t'en fous peut-être mais ta mère et tous les gens qui t'aiment, eux, ne s'en foutent pas.

— Si on a bien un point commun toi et moi c'est qu'on est venus passer Noël ici pour avoir la paix. Donc Adam chéri, laisse nos parents nous faire la leçon, tu veux ?

Depuis la mort de son père il y a un mois, Aubrey est malheureuse. Les choses ne vont pas fort avec sa mère – la seule famille encore à ses côtés – qui est trop affectée mentalement par le vide laissé par son mari pour aider sa fille comme elle le devrait. Alors depuis, Aubrey a commencé à fumer plus que de raison, s'occupant l'esprit par une forme d'obsession l'éloignant de ses malheurs. Théa a beau essayé de l'enfermer afin d'éviter qu'elle ne se carbonise les poumons comme elle le fait, rien n'y change. Aubrey trouve toujours moyen d'arriver à ses fins ; ce même à seulement dix huit ans.

Il a neigé à minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant