Elle leva les yeux de sa feuille. En face d'elle, il l'a regardait un sourire aux lèvres. Elle poussa un soupire inaudible et posa la pointe de son crayon sur la feuille vierge.
Par où commencer ?
Ses yeux le regardèrent. Toujours ce même sourire. Sourire moqueur, sourire de défi.
Tu n'arriveras pas à me dessiner, semblait-il dire.
Elle ferma les paupières.
Ne pas penser. Ne pas penser.
Elle ouvrit les paupières. Farouche, elle ne se laisserait pas faire. Il attendait toujours, lui et son éternel sourire. Pourquoi les avait-on placés ensemble. Pourquoi devait-elle le dessiner, lui son éternel ennemi ? Pourquoi son cœur battait-il ainsi ?
Par où commencer ?
Placer les traits, les repères.
Faisant fi de toutes ces pensées qui tourbillonnaient, animée par la rage qui montait en elle, rage contre les organisateurs, rage contre lui, rage ces sentiments, les siens, les leurs. Elle traça trois traits.
Traits de colère, traits de peur mais aussi traits d'amour.
Elle continua dans sa lancée. Rapidement, d'une main experte et sans aucune hésitation son crayon glissait sur la feuille. Les lignes s'assemblaient, se rejoignaient, se courbaient au grès de ses envies. Sur la papier, auparavant encore blanc, se devinait maintenant un visage. L'intérieur restait encore vide mais les contours étaient là et les proportions avaient été tracées avec une exactitude rare.
- Tu me montres ?
Première parole depuis le début de l'épreuve. Le ton calme contrastait avec la tention des instants précédents. Elle leva les yeux. Son expression avait changé, il affichait maintenant une curiosité innocente et un intérêt bienveillant.
- Ce n'est pas fini.
Son ton à elle était agressif, cassant, brusque. "Je me concentre sur ma tâche, tu m'en détourneras pas".
Mais pourquoi ne pouvait-elle s'empêcher d'être sur la défensive ? N'aurait-elle pas pû répondre gentiment ? Elle n'osa plus croiser son regard, elle fixa sa feuille.
- C'est pas grave, montre le moi quand même.
Geste automatique, elle releva la tête. Son regard croisa le sien. Pas de déception, pas de colère, il semblait juste curieux. Un peu hésitant, elle lui tendit la feuille. Il l'observa attentivement. Ses yeux relevant tous les détails. Son regard finit enfin par se détacher de la feuille, il vint se poser dans ses yeux.
- C'est bien, continue.
Pourquoi ne pouvait-elle s'empêcher d'accorder tant d'importance à l'avis des autres ? Surtout au sien ? Pourquoi lui accordait-elle tant d'importance ? De toute façon s'était la dernière fois.
Elle reprit sa feuille, il reprit sa pose. Chacun se concentra. Lui pour ne pas bouger, elle pour reproduire exactement ce qu'elle voyait.
Quelques mots avaient été échangés, l'ambiance en était modifiée. Cela n'était presque pas perceptible, ce n'était même pas une impression. Un lien, aussi léger qu'un fil de soi s'était tissé entre eux. Un coup de vent pouvait l'arracher, il suffisait d'un rien. Ou peut-être pas ...
Elle l'observa attentivement.
Ses yeux.
Yeux noisette, elle sentit qu'en s'y attardant trop, elle pourrait s'y perdre.
Passons les yeux ...
Le nez
Un nez est toujours centré, c'est un bon repère.
Son nez ... il existait des milliers de mots savants pour caractériser un nez, aucun ne convenait pour le sien.
Elle dessina un simple trait vertical, un repère qu'elle détaillerait plus tard.
La bouche ...
Il avait repris exactement la même pose qu'avant, son sourire n'avait pas changé. Elle ne pouvait pas le dessiner, elle n'y arriverait pas, elle le savait. Elle avait conscience de ses forces et de ses défauts.
Elle jeta un coup d'œil à sa feuille. Un seul repère, une ligne maladroite. C'était peu, ce n'était pas suffisant. Elle devrait s'y prendre autrement.
Inspire
Expire
Une idée lui vint, ce n'était pas très conventionnel mais un défi de plus ne la gênait pas, elle avait l'habitude.
La lumière tombait de travers, elle éclaboussait son visage. Une lumière naturelle qui entrait par l'unique et minuscule fenêtre. Un lumière si complexe, les ombres se moquaient éperdument de sa tâche, elles jouaient à n'en plus s'arrêter et leur dessin était si changeant qu'il en devenait presque invisible à l'homme et impossible à représenter. Une lumière parfaite. Elle prit deux crayons différents, un gras et un sec. Elle n'aimait pas le compromis du crayon HB.
La feuille sur la table, les crayons dans ses mains, l'un dans la droite, l'autre dans la gauche. Ils virevoltaient. Passant d'une main à l'autre sans cesse, se posant sur la feuille, laissant une légère marque et passant le rôle à l'autre. Et les yeux de la jeune fille voyageaient. De son visage à sa feuille, de la feuille à son visage.
La main s'arrêta, les yeux fixèrent la feuille, la parcourant et repérant tous les détails, les erreurs. Non. Aucune erreur.
- Alors ? demanda-t-il.
Pour toute réponse elle lui donna la feuille. Les traits du visage s'étaient affirmés, les ombres et les contours se trouvaient finalisés. Les cheveux étaient bien représentés avec les effets d'ombres et de lumières, ils semblaient même en mouvement. Mais à l'exception d'un léger trait l'intérieur du visage restait entièrement vide.
- Mais ... dit-il. Il manque tout l'intérieur. Les yeux, le nez, la bouche ... on reconnait mais ...
Elle rit. Un rire léger qui s'envola, ricochant contre les murs de la pièce vide. Un rire sans moquerie, un rire sans supériorité, un simple rire joyeux. Il fut un peu surpris, il ne s'attendait pas à cela.
- C'est normal, ce n'est pas encore finis, lui dit-elle avec un grand sourire, le premier de ses sourires.
Il se plaça à sa place, elle regarda ses yeux, elle regarda dans ses yeux.
Je dois y arriver.
De toutes ses forces elle se concentra pour ne pas s'y égarer.
Ce serait tellement facile, pensa-t-elle, de se perdre pour l'éternité dans ces beaux yeux bruns.
Non, je m'y interdis.
Elle contracta ses muscles et força sa main à se poser sur la feuille. Elle ferma les yeux, derrière ses paupière l'image de son visage se dessina.
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Dessin
Short StoryC'est une petite nouvelle en trois partie où une jeune dessinatrice dresse le portrait d'un jeune homme. Au fur et à mesure que le dessin se construit un lien se créé "Aussi fragile qu'un fil de soi, un coup de vent pourrait l'arracher... ou peut-êt...