FABLES DE LA FONTAINE ***
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Jean de La Fontaine FABLES (1668-1694) Livre II
Table des matières Contre ceux qui ont le goût difficile Conseil tenu par les rats Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe Les deux Taureaux et une Grenouille La Chauve-souris et les deux Belettes L'Oiseau blessé d'une Flèche La Lice et sa Compagne L'Aigle et l'Escarbot Le Lion et le Moucheron L'Âne chargé d'éponges et l'Âne chargé de sel Le Lion et le Rat La Colombe et la Fourmi L'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits Le Lièvre et les Grenouilles Le Coq et le Renard Le Corbeau voulant imiter l'Aigle Le Paon se plaignant à Junon La Chatte métamorphosée en Femme Le Lion et l'Âne chassant Testament expliqué par Ésope
Contre ceux qui ont le goût difficile
Quand j'aurais en naissant reçu de Calliope Les dons qu'à ses amants cette muse a promis, Je les consacrerais aux mensonges d'Ésope: Mais je ne crois pas si chéri du Parnasse Que de savoir orner toutes ces fictions. On peut donner du lustre à leurs inventions: On le peut, je l'essaie: un plus savant le fasse. Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau J'ai fait parler le loup et répondre l'agneau; J'ai passé plus avant: les arbres et les plantes Sont devenus chez moi créatures parlantes. Qui ne prendrait ceci pour un enchantement? «Vraiment, me diront nos critiques, Vous parlez magnifiquement De cinq ou six contes d'enfant» Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques Et d'un style plus haut? En voici: «Les Troyens, «Après dix ans de guerre autour de leurs murailles, «Avaient lassé les Grecs, qui par mille moyens, «Par mille assauts, par cent batailles, «N'avaient pu mettre à bout cette fière cité, «Quand un cheval de bois, par Minerve inventé, «D'un rare et nouvel artifice, «Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse, «Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux, «Que ce colosse monstrueux «Avec leurs escadrons devait porter dans Troie, «Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie: «Stratagème inouï, qui des fabricateurs «Paya la constance et la peine.» «C'est assez, me dira quelqu'un de nos auteurs: La période est longue, il faut reprendre haleine; Et puis votre cheval de bois, Vos héros avec leurs phalanges, Ce sont des contes plus étranges Qu'un renard qui cajole un corbeau sur sa voix: De plus il vous sied mal d'écrire en si haut style.» Eh bien! baissons d'un ton. «La jalouse Amaryle «Songeait à son Alcippe et croyait de ses soins «N'avoir que ses moutons et son chien pour témoins. «Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules; «Il entend la bergère adressant ces paroles «Au doux zéphire, et le priant «De les porter à son amant.» «Je vous arrête à cette rime, Dira mon censeur à l'instant; Je ne la tiens pas légitime. Ni d'une assez grande vertu. Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.» «Maudit censeur! te tairas-tu? Ne saurai-je achever mon conte? C'est un dessein très dangereux Que d'entreprendre de te plaire.»
Les délicats sont malheureux: Rien ne saurait les satisfaire.
Conseil tenu par les rats
Un chat, nommé Rodilardus, Faisait des rats telle déconfiture Que l'on n'en voyait presque plus, Tant il en avait mis dedans la sépulture. Le peu qu'il en restait n'osant quitter son trou Ne trouvait à manger que le quart de son soûl, Et Rodilard passait, chez la gent misérable, Non pour un chat, mais pour un diable. Or, un jour qu'au haut et au loin Le galand alla chercher femme, Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame, Le demeurant des rats tint chapitre en un coin Sur la nécessité présente. Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente, Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard, Attacher un grelot au cou de Rodilard; Qu'ainsi, quand il irait en guerre, De sa marche avertis, ils s'enfuiraient en terre; Qu'ils n'y savaient que ce moyen. Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen: Chose ne leur parut à tous plus salutaire. La difficulté fut d'attacher le grelot. L'un dit: «Je n'y vas point, je ne suis pas si sot,» L'autre: «Je ne saurais.» Si bien que sans rien faire On se quitta. J'ai maints chapitres vus, Qui pour néant se sont ainsi tenus; Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines, Voire chapitres de chanoines.