LE COMTE DE MONTE-CRISTO, TOME I ***
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Alexandre Dumas
LE COMTE DE MONTE-CRISTO
Tome I (1845-1846)
Table des matières
Alexandre Dumas I Marseille.--L'arrivée. II Le père et le fils. III Les Catalans. IV Complot. V Le repas des fiançailles. VI Le substitut du procureur du roi. VII L'interrogatoire. VIII Le château d'If. IX Le soir des fiançailles. X Le petit cabinet des Tuileries. XI L'Ogre de Corse. XII Le père et le fils. XIII Les Cent-Jours. XIV Le prisonnier furieux et le prisonnier fou. XV Le numéro 34 et le numéro 27. XVI Un savant italien. XVII La chambre de l'abbé. XVIII Le trésor. XIX Le troisième accès. XX Le cimetière du château d'If. XXI L'île de Tiboulen. XXII Les contrebandiers. XXIII L'île de Monte-Cristo. XXIV Éblouissement. XXV L'inconnu. XXVI L'auberge du pont du Gard. XXVII Le récit. XXVIII Les registres des prisons. XXIX La maison Morrel. XXX Le cinq septembre. XXXI Italie.--Simbad le marin.
I
Marseille.--L'arrivée.
Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le trois-mâts le _Pharaon_, venant de Smyrne, Trieste et Naples.
Comme d'habitude, un pilote côtier partit aussitôt du port, rasa le château d'If, et alla aborder le navire entre le cap de Morgion et l'île de Rion.
Aussitôt, comme d'habitude encore, la plate-forme du fort Saint-Jean s'était couverte de curieux; car c'est toujours une grande affaire à Marseille que l'arrivée d'un bâtiment, surtout quand ce bâtiment, comme le _Pharaon_, a été construit, gréé, arrimé sur les chantiers de la vieille Phocée, et appartient à un armateur de la ville.
Cependant ce bâtiment s'avançait; il avait heureusement franchi le détroit que quelque secousse volcanique a creusé entre l'île de Calasareigne et l'île de Jaros; il avait doublé Pomègue, et il s'avançait sous ses trois huniers, son grand foc et sa brigantine, mais si lentement et d'une allure si triste, que les curieux, avec cet instinct qui pressent un malheur, se demandaient quel accident pouvait être arrivé à bord. Néanmoins les experts en navigation reconnaissaient que si un accident était arrivé, ce ne pouvait être au bâtiment lui-même; car il s'avançait dans toutes les conditions d'un navire parfaitement gouverné: son ancre était en mouillage, ses haubans de beaupré décrochés; et près du pilote, qui s'apprêtait à diriger le _Pharaon_ par l'étroite entrée du port de Marseille, était un jeune homme au geste rapide et à l'oeil actif, qui surveillait chaque mouvement du navire et répétait chaque ordre du pilote.
La vague inquiétude qui planait sur la foule avait particulièrement atteint un des spectateurs de l'esplanade de Saint-Jean, de sorte qu'il ne put attendre l'entrée du bâtiment dans le port; il sauta dans une petite barque et ordonna de ramer au-devant du _Pharaon_, qu'il atteignit en face de l'anse de la Réserve.
En voyant venir cet homme, le jeune marin quitta son poste à côté du pilote, et vint, le chapeau à la main, s'appuyer à la muraille du bâtiment.
C'était un jeune homme de dix-huit à vingt ans, grand, svelte, avec de beaux yeux noirs et des cheveux d'ébène; il y avait dans toute sa personne cet air calme et de résolution particulier aux hommes habitués depuis leur enfance à lutter avec le danger.
«Ah! c'est vous, Dantès! cria l'homme à la barque; qu'est-il donc arrivé, et pourquoi cet air de tristesse répandu sur tout votre bord?
--Un grand malheur, monsieur Morrel! répondit le jeune homme, un grand malheur, pour moi surtout: à la hauteur de Civita-Vecchia, nous avons perdu ce brave capitaine Leclère.