Prologue

5.4K 160 7
                                    

AU COMMENCEMENT

 

 

Quelque part dans les nuages,

Septembre 1997.

 

     Vers 22 heures, le conseil commença enfin. La panique me prit, mon rythme cardiaque s’accéléra soudainement et je sus que je ne tiendrais pas longtemps. S’installait en moi la peur incontrôlable que cette gêne ne soit démasquée. Si les personnes qui m’entouraient prenaient conscience de mon mal être, s’en était fini pour moi. Ce conseil de l’Autorité Angélique avait rarement lieu mais je ressentais déjà à son début un immense besoin qu’il prenne fin.

     Les portes de la salle s’ouvrirent et un halo de lumière entrait alors pour se réfléchir sur les murs. Elle était immense, pure, d’une clarté incroyable, et seuls les ornements parés de nombreuses dorures venaient déformer cette perfection. Un jeune homme à l’air troublé mais légèrement amusé à la fois apparut alors, entouré de nos meilleurs gardes chérubins. Ceux-ci l’invitèrent à s’asseoir sur un siège placé face aux tribunes où se trouvaient les juges qui détenaient désormais son avenir entre leurs mains.

     Je me trouvais au centre de ceux-ci, mes confrères séraphins. Nous étions de la plus haute hiérarchie angélique au service de Dieu lui-même. Ce jour-là, j’avais été assigné comme responsable et directeur de ce procès qui débuta au son de ma voix :

     -Serviteurs de Dieu, il est rare que nous nous retrouvions dans cette salle et le plus souvent, notre présence est due à une raison bien tragique.

     Ma voix se faisait hésitante et tremblante. J’en appelais mon fort intérieur à faire l’impasse sur mes péchés afin que je puisse prendre de l’assurance. Quelque peu rassuré, je repris :

     -Le procès qui se tient en ce moment a lieu car l’Ange que vous avez en face de vous a péché. Cette Principauté a trahi le Tout-Puissant en faillant à son travail !

     J’avais passé de longues minutes à exposer les faits à la Cour. Je me fatiguais mais au moins, mon rôle d’orateur m’avais permit d’oublier ma culpabilité quelques instants. J’avais donc débité aux juges séraphins la raison pour laquelle nous nous trouvions en Conseil et les actes que l’on reprochait à l’accusé. Nous nous rendîmes tous ensuite dans une salle annexe, toute aussi grandiose que la précédente, pour en débattre et mettre en place une sanction :

     -Nous ne pouvons pas laisser passer une chose pareille ! disait un Séraphin visiblement très en colère. Beaucoup d’Anges sont tentés de descendre sur Terre pour rejoindre les Humains, mais ils savent distinguer le bien du mal et font le choix raisonnable de prendre sur eux pour ne point mettre de vies en danger ! Celui-ci n’a donc aucune retenue, aucun sens du devoir ?!

     -Si nous ne punissons pas correctement cet Ange, de manière à dissuader tout autre révolté, c’est un drame qui se produira ! articulait un autre avec de grands gestes. Il faut faire de lui un exemple et mettre en place une sentence digne de ce nom !

     -L’accusé s’est dit exténué de voir des Humains à longueur de journée vivre leur Amour comme ils le souhaitent, commença un autre ; lui supprimer ses ailes et le renvoyer sur Terre serait bien trop facile pour lui, c’est tout ce qu’il a toujours voulu. Il pourrait enfin faire ce qu’il souhaite et ce, sans conséquences ? Non, ce serait bien trop facile et il s’en féliciterait ! Il nous faut lui priver d’accès ce qu’il apprécie le plus sur Terre… les femmes ! proposa celui-ci.

     La parole ne suffisant plus à apaiser mes remords, ma panique reprit, et cet amas de propositions qui s’insinuaient dans ma tête comme un sifflement insupportable n’arrangeait pas mon état. Ma tête se mit à tourner et je n’étais plus capable d’aucune réflexion ni d’aucun jugement. Mes yeux se baladaient sur le bois ciré magnifique qui faisait guise de table, sur la peinture bleutée dont était recouvert le plafond, sur les colonnes somptueuses érigées dans chaque coin de la pièce et sur les tableaux accrochés au mur, représentant les plus grands anges aux côtés de Dieu. C’est alors que l’on s’adressa à moi :

     -Que dites-vous de cette dernière proposition Séraphin Raphaël ? Elle est, à mon humble avis, fort bien adaptée à la situation.

     -Eh bien, je la trouve en effet assez mûrement réfléchie pour que cette dernière puisse être efficace, répondis-je après quelques instants.

     Après plusieurs dizaines de minutes à envisager d’autres sanctions qui ne semblaient pas assez sévères et à régler quelques formalités, j’invitais mes confrères à retourner dans la salle du Jugement pour annoncer le verdict. Tous se levèrent sur ces dernières paroles, heureux d’avoir trouvé une solution à ce problème. Aucun de mes amis ne semblaient affecté par le sort que l’on réservait à cet Ange, et ma honte s’accentua ainsi, lorsque je me pris à imaginer leur réaction si un jour je me trouvais à sa place, sur la chaise de l’accusé. J’effaçais vite cette vision de mon esprit et quittais la pièce, avec la gênante impression que les personnages peints sur ces immenses tableaux me considéraient d’un regard lourd de reproches.

    De nouveau dans la salle, je jetais un regard à l’Ange, prochainement déchu, qui se tenait en face de nous. Ses ailes bientôt arrachés scintillaient encore d’une splendeur propre aux Principautés et malgré moi, j’éprouvais de la compassion à son égard. Bien qu’il n’ait encore ce rictus satisfait sur les lèvres, je savais qu’une fois que j’aurais prononcé sa sentence, il ressentirait une souffrance et une colère telle qu’il me faudrait partir avant que je n’éclate en sanglots. Après quelques instants, je décidais de me lancer :

     -Les Séraphins ont cessé de délibérer sur le sort de l’accusé et se sont mit d’accord sur une sanction on ne peut plus adaptée aux circonstances.

     Mes membres tremblaient sous le coup des courbatures et je sentais ma tête s’alourdir. C’est avec un effort considérable que je réussis à lire les mots inscrits sur ma feuille remuée par le mouvement saccadé de mes mains :

     -C’est ainsi que le Conseil de l’Autorité Angélique a décidé de vous condamner à errer sur Terre après le retrait de vos ailes. Vous ne pourrez plus revenir parmi nous après cette démarche, votre acte n’étant point pardonnable !

     Les yeux rivés sur mon parchemin, je pouvais encore sentir ce sourire sur les lèvres du condamné, que je me refusais de regarder. Après quelques instants je repris, malgré moi, redoutant ce qui allait se produire :

     -Mais ce n’est pas tout, prononçais-je en évaluant sa mine dépitée, ce sort vous serait bien trop favorable. Nous avons donc décidé de vous infliger une malédiction qui vous suivra désormais tout le long de votre existence. Loin de vous désormais l’idée d’avoir une idylle avec une humaine. A votre exil sur Terre, vous serez privé de toutes vos sensations, et en plus de cela, un simple baiser de votre part sur les lèvres d’une d’entre elle et vous verrez sa vie s’achever sur l’instant. Ce Conseil est désormais terminé, veuillez appliquer sa sentence au condamné.

     Je me permis alors un regard en sa direction. Il n’était ni en colère, ni triste. A vrai dire, je n’aurais pu lire aucune émotion sur son visage : il était vide, ne laissait deviner aucun sentiment, et aurait presque pu paraître sans vie. Seul son buste, maintenu en mouvement par une respiration vive et haletante, pouvait trahir les vagues de souffrance qui déferlaient en lui.

     Je pris mes quelques parchemins et quittais la pièce, enfouis sous une tonne de regrets et de culpabilité. Je m’éloignais, me disant qu’il fallait que j’oublie ce qu’il venait de se produire, lorsqu’explosèrent dans ma tête des hurlements affreux. Je m’arrêtais un instant sur la première marche, fermant les yeux pour ne point laisser couler mes larmes, et me mis à courir pour ne plus entendre ces cris derrière moi.

Amor MortisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant