Prologue

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MONA


Je quitte l'ascenseur au trente-sixième étage. Je connais cet endroit par cœur, je me dirige donc de manière automatique vers mon bureau. Conserver mes habitudes me permet de ne pas penser aux bouleversements de ces derniers jours.

— Qui a pris mes imprimés ? lance une voix pleine de colère quand je tourne à gauche dans le couloir.

Je relève le nez vers la salle du photocopieur et j'aperçois à peine une petite tête brune qui se cache derrière la grosse machine flambant neuve qui nous a valu une demi-journée de formation. Sans rien dire, je continue ma route alors qu'un petit ricanement résonne dans mon dos. Huit heures pile. Je prends place derrière mon bureau. Comme tous les jours depuis bientôt trente-six ans.

Je travaille au sommet d'une tour dans le quartier d'affaires de Chicago. Mon poste de secrétaire de direction n'a rien de compliqué. Il demande de l'organisation, beaucoup de politesse, mais surtout, depuis quelque temps, une dose quotidienne de patience. Et mon patron, monsieur Weiss, en manque cruellement depuis la mort de sa femme. Le voilà justement qui arrive du couloir, les cheveux ébouriffés et la cravate de travers. La journée débute à peine et il semble déjà en avoir plein les pattes. Être le P.-D.G. d'une grande entreprise n'est pas de tout repos, mais ce n'est pas ce qui épuise le plus cet homme.

— Bonjour Mona, pouvez-vous annuler le rendez-vous avec les Russes, s'il vous plaît ? il me lance très sérieusement.

Je le salue et acquiesce aussitôt. Il tourne les talons, se dirige vers la porte de son bureau, puis s'arrête, la main sur la poignée.

— Dites-moi, auriez-vous vu mon fils, par hasard ?

Voilà ce qui accapare l'attention de monsieur Weiss depuis quelque temps : son fils.

— Il rôdait autour de la photocopieuse la dernière fois que je l'ai aperçu, monsieur.

Il soupire longuement et se pince les lèvres avant de s'exclamer :

— Je comprends mieux où sont passés mes imprimés... J'ai de plus en plus de cheveux blancs ! Je suis certain que c'est à cause de lui.

— Vous en avez encore, c'est mieux que rien, je rétorque avec un léger sourire.

Son visage s'illumine. Il a toujours aimé l'humour, ce qui m'a souvent permis d'éviter des situations gênantes. Il devient soudain plus sérieux.

— À quelle heure est la cérémonie demain ?

J'évite son regard pour répondre :

— Quatorze heures, monsieur.

— Bien... Je ne veux pas vous voir au bureau après ça, prenez une semaine. Je vous l'offre. Et encore toutes mes condoléances pour votre mari, il ajoute avec compassion.

Une semaine à tourner en rond en ruminant mon malheur ? Non merci ! Je n'ai plus l'âge de me laisser aller. Et puis, que me reste-t-il maintenant à part mon travail ?

— Et je vous interdis de refuser. Vous en avez besoin ! Je vais prévenir l'accueil. Compris ?

Je le connais, il ne démordra pas de sa décision.

— Bien, monsieur. Merci, je souffle.

— Ne me remerciez pas, c'est normal. Je n'ai pas oublié que vous avez été très présente pour nous quand ma femme nous a quittés...

Je force un sourire, qu'il me rend avec cet air triste que prennent les gens quand quelqu'un d'autre perd un de ses proches. Comme s'ils disaient « Je ne peux rien faire d'autre que de compatir de loin ». Une longue seconde passe, puis il se dirige d'un pas décidé vers la salle de la photocopieuse. Dix-sept années que je travaille pour monsieur Weiss. Et avant lui, je travaillais pour son père. Soit, au total, trente-six ans de bons et loyaux services pour Weiss Corp. Un mariage, une naissance et une vie plus tard, me voici à la veille de mettre en terre mon mari. Le cancer ne lui a pas laissé six mois. 

Baby RANDOM 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant