Je ne sais pas.

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-Je ne sais pas.

Il y a toujours les mêmes questions qui reviennent, sans cesse, sans discontinuer. Il y a toutes ces phrases, amnésie en exil. Tout le monde sait ce qu'il veut faire plus tard. J'ai beau répéter que je ne suis pas tout le monde, personne ne m'écoute. Je ne suis personne.

Papa sait ce que je vais faire. Papa veut que je fasse Science Po, il veut que je gagne pleins de sous. Papa veut que je fasse une prépa. Papa veut.

Maman veut que j'aille à la Sorbonne, maman veut que je fasse une prépa. Maman veut que je sois heureuse. Maman veut.

Ma sœur est intelligente. Mais ma sœur a trahi, elle a déçu. Elle, elle veut que je suive ses pas, que je dise adieu aux parents, et que je me rebelle en devenant artiste. Ma sœur veut que je sois une artiste, comme elle. Ma sœur est une artiste.

La glotte au fond de la gorge, je ne réponds rien.

J'avais dix ans et des poussières. J'avais dix ans, quelques étoiles, des millions de rêves comme des astres à revendre. Mais à dix ans, je ne sais pas. C'est ce que j'ai dis :

-Je ne sais pas.

On m'a répondu que si, bien-sûr, je savais.

Sept ans plus tard on me le redemande. Et moi je suis en face de la conseillère de je ne sais quoi, et je réponds que je ne sais pas. Elle se moque, gentiment, de moi. Je me demande si la moquerie peut-être gentille. Je me demande si on a besoin d'une conseillère, pour bien vivre. Je lui pose ces questions. Elle me répond qu'elle ne sait pas.

Elle me dit que je dois savoir, que je suis grande, maintenant. Qu'étant enfant, j'avais le droit de l'ignorer, mais que c'était de mes études qu'on parlait. C'est sérieux, elle me dit, c'est ta vie. Ton futur.

Mais si c'est ma vie, pourquoi vous ne me laissez pas tranquille ? Je lui dis que papa voudrait que je devienne médecin, que maman voudrait que je devienne heureuse, que mamie voudrait que je fasse une prépa littéraire, et que ma sœur voudrait que je devienne une artiste. Elle me demande ce que je veux, moi. Je lui réponds que je ne sais pas. Elle s'énerve, elle s'entête. Tout le monde sait, me dit-elle. Mais je ne suis pas tout le monde. Mais cesse de te prendre pour personne.

Quand je sors de cette pièce étouffante, je suis ivre de respiration saccadée, j'aurai bien aimé faire plaisir à la conseillère, elle était jolie.

Quand j'avais dix ans, je dessinais mal. Souvent, mes dessins ne représentaient rien, et face au nouveau Picasso de la famille que représentait ma sœur, je me taisais. Moi je ne voulais pas dessiner, de toute façon. C'est maman qui me donnait une feuille blanche et me disait de prendre un stylo. Alors je traçais sur le papier des lignes invisibles, alors papa venait et m'ordonnait de dessiner. Alors, moi, je détruisais l'encre insoumise.

Quand j'avais dix ans, je dansais sous la pluie, en inventant des rengaines amusantes. Papa et maman me filmait. Parfois, on entendait ma sœur se moquer gentiment. Peut-on se moquer gentiment ? Je ne pense pas, mais à vrai dire, je ne pense pas le savoir. Je détestais la moquerie. Se moquer gentiment, pour moi, n'avait aucun sens. Soit on est méchant soit on est gentil. On ne peut pas être les deux.

Quand j'avais dix ans, j'espionnais ma grande sœur. Qu'elle soit en train de peindre, qu'elle soit en train d'écrire ou de se moquer. Ma sœur aime bien se moquer. Quand elle voyait que je l'espionnais, elle se mettait très en colère, et me demandais ce que je faisais. Moi, je répondais que je ne le savais pas. Alors, elle me giflait, et je pleurais, et maman venait. Et tout ce qu'elle me répétait c'était qu'elle voulait que je sois heureuse.

Mais maman, je sais pas être heureuse.

Je disais que je voulais être écrivain, quand j'avais dix ans.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 14, 2016 ⏰

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