Je suis médecin-pédiatre à l'hopitâl de Nice : j'ai le plaisirs de pouvoir soigner des enfants. Cependant, ces journées sont remplies de difficultés et de rencontres que j'appréhende. Ces pauvres enfants n'ont peu voire guère des chances de survie. Ils sont là, obligés d'attendre la roue du destin leur ouvrir une porte.
Chaque jour est un combat sans fin contre leurs cancers. Ma vie est routinière.
Je fais des toujours des vas et viens dans les longs couloirs infinis, je dois être partout tant pour les cas d'urgences que pour les autres diagnostics. L'horloge tourne à une vitesse folle tant je ne vois plus le temps passer. Il y aura toujours des journées qui seront plus longues que d'autres. Certes, je suis accablée de ces lourdes responsabilités, mais je n'en suis pas moins heureuse. Pourtant je ressens un vide à l'intérieur de moi, dans toute mon âme. Serait-ce parce que je me préoccupe trop des autres, mais pas assez de moi-même ? Je me sens repliée à l'intérieur de moi et une solitude m'envahit, puis peu à peu, une mélancolie profonde pénètre dans tout mon être.J'habite seule dans une grande maison à 3 étages, très confortable, spacieuse et bien meublée, mais je n'ai pas une seule compagnie, pas même la présence d'un animal. Il y a trop d'espace inutile, car je n'ai que peu de visites exceptés celles de mes parents , qui viennent très rarement, et de mon unique amie musicienne, Constantine. Mes voisins ne sont guère sympathiques. De plus, ils partent souvent en voyage d'affaires.
J'ai pour habitude de me regarder dans un miroir juste avant de partir au travail. Je me sens laide et horripilante malgré mon corps svelte; mes cheveux noirs et bouclés se tordent tous les
sens et les cernes de mon visage blafard soulignent mes yeux vert émeraude.Aucune personne hors de l'hôpital ne daignerait me gratifier d'un regard ni même m'adresser la moindre parole. Je suis complètement isolée du monde social, telle une île déserte. Peut-être, est-ce la masse importante de travail que j'accumule quotidiennement qui me rend associable ?
J'erre comme une ombre , un esprit dans une épaisse léthargie. L'amour n'est pas au RDV ; je suis toujours célibataire à l'âge de 40 ans; je n'ai toujours pas rencontré mon âme soeur. Il n'y a rien à faire !!! Je suis un cas désespérée et ne suis pas attirante auprès de la gente masculine.
En réalité, pour être honnête, je ne sais plus vraiment qui je suis. D'après l'analyse des médecins et de mon entourage, j'ai dû glisser d'une falaise et me heurter assez violemment la tête pour s'en sortir qu'avec de très vagues souvenirs. Je me rappelle juste d'un bruit d'hélicoptère.
A l'instant même, je me retrouve cloîtrée dans une chambre d'hôpital avec plein de tuyaux me connectant à des machines. Ma boîte crânienne me fait souffrir le martyre.
Mon histoire que je vous ai racontée peu avant, peut être parsemée d'erreurs. Cela doit sûrement être une vie antérieure avec des fragments de ma vie passée, vu le peu de souvenirs qu'il me reste.
Ma mémoire se chamboule. J'en perds mes moyens d'expressions et je perds la tête. '' J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.'' (citation de Baudelaire dans les Fleurs du Mal)
Ils se confondent. Je ne sens plus aucune émotion. Mon être entier se dégrade; mes souvenirs s'entremêlent et se brassent tels des éclats d'images défilant dans ma tête. Je ne sais plus où j'en suis; je perds mes repères dans ce monde anonyme et sans valeurs. Ma tête est brouillée. je ne distingue plus la réalité de mes rêves illusoires, ni même de l'humaine que je suis réellement.
Les médecins me disent que je suis amnésique é cause de la fracture crânienne d'une ampleur importante. Cette condition éviscère mes entrailles. Une peine indélébile m'assaille tel un démon. Je me sens emprisonnée dans mes propres pensées et achevée mentalement et physiquement.Je me rappelle une fois où je racontais une histoire é une fille d'environ 7 ans. La fraîcheur de sa jeunesse et son innocence avaient ranimé mon esprit.
C'était une journée pluvieuse et empreinte de nostalgie. Elle venait tout juste de se faire opérer de l'appendicite. J'avais décidé de lui remonter le moral avec une histoire pour enfant : '' Le Coeur et la Bouteille''.
C'est l'histoire d'une petite fille éprouvant la perte de son grand-père pour lequel elle portait beaucoup d'affection et avec qui elle avait passé la plupart de ses moments les plus heureux. La fillette a un très gros chagrin et n'arrive pour l'instant pas à faire son deuil. Au fur et à mesure, son coeur s'est enfermé dans une bouteille qui pend à son cou, comme un grand fardeau. C'est par la suite qu'elle retrouvera son plaisirs de vivre. Son amour reviendra et son coeur sortira de cette bouteille à la dérive, dans l'océan. Il a fallu du temps pour cicatriser cette blessure, ce déchirement de l'être et ce sentiment d'abandon.
Rosalie avait beaucoup aimé cette fiction, puis je lui avais dit que sa plaie, suite à l'opération, serait pareille. Il faut du temps pour qu'une blessure se cicatrise, mais bien sûr, il en restera toujours des traces et des séquelles, comme cet enfant et son grand-père. C'était un fait inéluctable qu'il soit décédé. Elle le gardera donc en mémoire, dans son coeur, à tout jamais. Elle avait eu un sourire radieux qui avait irradié mon coeur.
Mais moi, comment ferais-je pour me rappeler des êtres chers à mes yeux ? Ma mémoire se dissipe peu à peu. J'aimerais tellement me remémorer ma vie et reconnaître mon monde d'autrefois. Des étrangers en pleurs et ma tendre amie m'entourent sans que j'en sache la raison. Je souffre tellement.
Soudain un souvenir resurgit de ma mémoire. Il me semble qu'autrefois j'aimais flâner dans les rues pour admirer la splendeur des paysages. Le bord de mer des Côtes d'Azur était un endroit idéal pour ces belles promenades.
Je m'étais rappelé d'un matin ensoleillé où j'étais assise sur un banc en contemplation devant la mer. La beauté de cette immensité m'avait subjugué et m'avait comblé. Ce ciel bleu azur avait été source d'éclaircissement face é ces journées maussades qui m'avaient rongées. Je m'étais ennuyé de ce jours de travail incessants et fatigants qui malgré tout m'avaient procuré une joie immense lorsqu'il y avait eu des patients guérissant de maladies incurables.
Je sens la fin s'approcher à grand pas. Mes membres sont flagellant et ma respiration commence à être cadencée. Je sors ma plume pour écrire mes derniers voeux et le testament pour léguer tous mes droits. Je me sens déjà vidée de toute mon énergie. Je déclare é ma soeur ''de coeur'' l'importance de mon amour à son égard. Elle est la seule et unique personne à m'avoir aidée tout au long de ma lutte, en dehors de mes parents qui s'inquiètent pour moi, mais ils veulent é tout prix que je guérisse et retrouve à nouveau ma mémoire. Sauf que je n'arrive plus à éradiquer mes maux, je suis internée depuis 4 mois maintenant. Ne vaudrait-il pas mieux un nouveau départ ?
Je ne supporte plus cet hôpital renfermé, d'être lointain du monde externe comme une prisonnière en détresse, de perdre le peu d'humanité qu'il me reste; je suis juste une silhouette immobile plongée dans la souffrance. Un autre être sommeille en moi. Il ne s'attend qu'à sortir tel un papillon de sa chrysalide. Il n'y a rien qui puisse m'en dissuader.
A ma chère amie Constantine,
Je voulais te dire combien tu es précieuse à mes yeux. Je te considère comme ma propre soeur. Tu es la seule personne qui ne m'ait jamais autant soutenue et retenue en vie jusqu'à ce moment.
Ta musique m'a bercée dans mon sommeil léger. Ta voix mélodieuse s'accordait divinement avec le son du piano, comme de douces sérénades. J'ai encore en mémoire le ''Prélude en Do Majeur'' de Bach et '' Clair de lune'' de Debussy. Les pièces que tu interprétais émanent une telle sensibilité qui me touche du fond du coeur. Ta chaleur me réconfortait lorsque tu me prenais dans tes bras. Je me rappelle également des ballades à cheval que l'on faisait ensemble en été. Ce n'était que bonheur et liberté.Adieu et à jamais,
Ludivine
Je ferme les yeux, tranquillement allongée sur mon lit d'hôpital et me voit debout sur une falaise, une légère brise éphémère caressant mon visage. L'écume revigorant me revitalise.
J'ai trouvé ma voie et mon destin. Je perçois déjà un long chemin me conduisant vers une route inconnue. Un brouillard l'enveloppe de son voile opaque. J 'attends ce renouveau. Heures, jours, années, voire une éternité : je l'attends...