Colors

Chapitre 3 : Moi

J'ai le coeur en vrac. Sincèrement. On m'avait dit le mal que ça faisait. On m'avait mise en garde. Mais bien sûr, tant que l'on ne l'a pas vécue on n'y croit pas vraiment. On se dit que ça ne nous arrivera pas, ça ne peux pas nous arriver, c'est le bon, c'est sûre. Et puis la seconde d'après on se retrouve à hiberner dans notre lit avec, pour seule compagnie, un pot de Ben & Jerry's. C'est mon préféré, celui avec d'énormes morceaux de cookies, ceux qui dépassent de la cuillère et qui te font légèrement culpabiliser avant de l'avaler. Ce pot m'a permis de survivre à la mort de mon chien et celle de mon hamster, mais rien à faire, je ne réussis pas le deuil de cet amour. Les larmes s'accumulent et donne un goût iodé à ma glace. Je replace le pot vide sur le sol de ma chambre et m'engouffre sous les couches de couverture, tel des sables mouvants. La chaleur devient étouffante et bientôt je vais devoir sortir chercher de l'oxygène. Je n'en ai même plus la force.

Le pot avec d'énormes morceaux de cookies, ceux qui dépassent de la cuillère et qui te font légèrement culpabiliser avant de l'avaler, vous savez, celui-là... il était pour June.

Demain il va falloir que je retourne au lycée . Cela marque la fin d'un week-end entier passé à déprimer et écouter en boucle "Drunk in love". Je ne sais pas si j'aurais la force d'affronter Nolan. La blessure est encore à vif, et les sutures, aussi nombreuses soit-elles, ont du mal à la refermer. Malgré tout, il y a une partie de moi toujours dépendante de lui et impatiente à l'idée de le voir. Ça me met hors de moi d'être aussi faible. Et June... Oh mon dieu June !

Merde !

J'étais tellement concentrée sur ma défaite amoureuse que j'ai purement et simplement ignoré les huit (oui, huit) appels de ma meilleure amie. Quelle amie pitoyable je fait. Comment vais je réussir à trouver une excuse potable ? Je ne peux décemment pas lui révéler la vérité. J'ai honte de moi.

Je regarde le plafond de ma chambre, en quête de courage. Il est parsemé de toutes sortes de décorations. Des origamis de grue en papier, le seul animal que j'ai jamais réussi à faire. Elles sont suspendus à des fils de couleurs pour former un mobile au-dessus de ma tête de lit. Je sais que c'est puéril, mais je n'ai jamais pu me résoudre à l'enlever depuis la primaire. Il à un petit côté hypnotique qui m'aide à dormir. Etant petite, mon père me disait qu'il l'avait ensorcelé pour que je le laisse regarder ses émissions du soir. Bien sûr, je n'y croyais pas une seconde, mais je hochais la tête avec enthousiasme pour lui faire plaisir. Je voulais être une fille sage pour lui. Une fille qui ne lui gâcherait pas son épisode de NCIS. Une fille qui en valait la peine. Cette époque est tellement lointaine, pour moi, que je suis obligée de fermer les yeux pour en retrouver quelques bribes. Mais je n'ai pas envie de m'en souvenir, pas maintenant.

Je continu mon petit inventaire : il y a des photos de mes amis, des tickets de cinéma scotchés au mur, des guirlandes lumineuses (subtilisées sur mon sapin de Noël dernier) , un poster des Maroon 5, une photo de mon ancienne chorale et des emballages de bonbons en tous genres. Ma chambre est mon sanctuaire. Mon refuge, ma secte, mon territoire. J'y ai caché mes plus beaux souvenirs et mes plus sombres secrets.

A part celui-là. C'est un secret que je dois garder au plus profond de moi.

Certains me diront : comment peut-on en arriver là ?

Je ne suis pas une mauvaise personne. Du moins, c'est ce dont j'essaie de me convaincre. Je me dis qu'en le répétant assez longtemps, peut être, cela deviendra réel.

Si seulement...

Tomber amoureuse de Nolan n'était pas prémédité. C'était un pur hasard. C'était le destin qui avait décidé de me pourrir la vie. C'était cet idiot de cupidon qui n'avait décidément aucun talent pour le tir à l'arc. Mais à bien y repenser, je me dis que c'était évident. Je me dis, que tous me destinait vers lui. Je me dis, que c'est plutôt June qui a dû se tromper de garçon. Je me dis, surtout, que j'étais la premiere.