Solange

L'aubergine

Le marché est blindé, comme tout les mercredis.

À peine le temps d'attraper deux aubergines sur un étalage que la foule l'entraine à l'autre bout de la place.

Elle ne payera pas les légumes. De toute manière c'est pas comme si elle avait voulu les voler...

Elle lance des regards méfiants aux hommes en combinaisons vertes sur la chaussée.

Ils font peur avec leurs énormes tuyaux d'arrosages.

Même si sans eux la ville serait couverte de détritus, elle aimerait ne plus les voir.

Elle n'est pas rassurée.

" J'ai 82 ans moi monsieur! Pas le temps de me préoccuper de votre hygiène de ville!" Qu'elle lui avait dit, à l'homme en combinaison.

Malgré tout ils sont restés, et leurs serpents d'eau aussi.

Le regard scotché sur les scaphandriers nettoyeurs, elle ne voit pas le rouquin qui lui fonce dessus, un bouquet de fleurs à la main.

À terre les deux, une aubergine écrasée et les tulipes éparpillées.

Le jeune homme rapatrie ses fleurs, et avec un sourire gêné lui en laisse une.

Si elle avait ses lunettes, elle pourrait mieux voir comme elle est jolie, la tulipe jaune qu'elle a à la main.

Elle sourit aussi. De son plus beau sourire, celui qu'elle réserve normalement à ses petits enfants.

Et se redressant et repliant sa robe, elle rentre chez elle paisiblement.

Avec une aubergine de perdue, mais une tulipe de gagnée.

Elle aime bien les jours de marché.