Où l'on finit par constater ses propres tics d'écriture.

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À vouloir être trop précis, on perd en efficacité.

Le départ de l'être généra une onde inverse qui balaya toute la glace et parut s'engouffrer dans le pendentif dans un tourbillon assourdissant.

Dans cette scène, on voit une onde disparaître dans un pendentif avec une certaine violence. Mais ce que je vois aussi, c'est ce « paru s'engouffrer ».
Grammaticalement, il est juste et, à vrai dire, pris comme ça, je n'ai pas grand-chose à lui reprocher. Mais visons de plus près son alter ego :

Le départ de l'être généra une onde inverse qui balaya toute la glace et s'engouffra dans le pendentif dans un tourbillon assourdissant.

Deux constats :
— La première version est plus précise. Elle nous apprend que même si l'être semble s'engouffrer dans le pendentif, le lecteur/le spectateur de la scène n'en éprouve que l'impression.
— La deuxième version est plus directe dans son approche, mais elle perd en précision, car elle ne décrit plus un point de vue subjectif, mais un fait (qui peut être perçu de façon subjective, cela dit). Pas d'ambiguïté, l'onde s'est engouffrée, l'être à disparu.

Pourquoi la 2e version est-elle (selon moi) en général préférable à la 1re ?

Pour moi, c'est un peu comme si ce « parut s'engouffrer » avait été placé là par peur que l'action décrite soit trop brutale pour que le lecteur ait le temps de se la figurer. Ajouter un verbe d'état (mais ça marche aussi avec les verbes d'action) c'est temporiser d'une microseconde supplémentaire le résultat final.
En définitive, « parut s'engouffrer » n'apporte rien d'intéressant et complique la phrase inutilement.

— Rien à l'intrigue (spoilers : l'être à bel et bien disparu)
— Rien aux personnages
— Très peu au lecteur qui a aussi le droit de se figurer lui même l'enchaînement des évènements. Surtout s'il n'y a aucun enjeu à insister sur cette transition.

Autre exemple :

Une main, vierge de tout apparat, brillait à la faible lumière du maléfice que le Maître venait de lui lancer.

Ici on veut appuyer sur l'idée que l'action se déroule en plusieurs étapes : la main brille parce que le Maître lui a lancé un maléfice. Mais pour cette précision relativement dispensable (une main ne brille pas, en général, on se doute donc que quelque chose la fait briller), on se retrouve avec une structure de franchement bancale et qui, de surcroît, opère un retour dans le temps déstabilisant.
Dans ce cas, le plus simple est sans doute d'aller à l'efficacité :
« Le Maître lança un maléfice sur sa main qui brilla d'une faible lumière » (ou un truc du genre, pour être honnête, on a pété tout ce passage X))

Contre exemple : 

Xâvier et Mattéo luttèrent un instant pour la garder immobile. Ils ne pouvaient pas la lâcher maintenant, alors ils tinrent bon. La femme finit par se calmer avec un petit gémissement douloureux. 

Dans ce passage les personnages luttent pour maintenir la femme immobile. Le « finit » induit une temporalité à cette lutte. Temporalité qui est nécessaire à l'histoire : pendant qu'ils s'occupent de ça, il y a des choses qui se passent autour d'eux et ces choses ont un impacte dans l'histoire.

Bien sûr on pourrait remplacer par « la femme se calma », mais alors on passerait à côté d'une information importante (ils galèrent à la calmer, ça met du temps).

Conclusion :

Chez moi, chez nous en fait, cette volonté de temporiser une action est un tic d'écriture. On l'emploie à tout bout de champ et une fois qu'on l'a remarquée, c'est un coup à se sortir directe de la lecture !

En définitive, c'est un peu comme les adverbes : la technique n'est pas à bannir complètement de l'écriture, mais il faut l'employer lorsqu'elle se justifie. Une tournure de cette sorte (verbe conjugué + infinitif) doit éveiller l'attention de celui qui relit le texte et lui faire se poser des questions quant au but de son emploi.

En bonus, des exemples de ce style, il y en a à la pelle :

Il commença à parler
Il parla, il prit la parole...
Est-ce important de préciser qu'il commence à parler ? (S'il parle, de facto, c'est qu'il a commencé à parler ? Pourquoi préciser qu'il commence alors ? À moins qu'il n'ait pas le temps de terminer, car on lui coupe la parole ?)

Il finit par se faire à l'idée que...
Il se résigna, il se fit à l'idée
Est-ce qu'il y a un intérêt à marquer la lenteur de son processus cognitif ? (En général, la réponse est non)

Il essaya de faire abstraction...
Il fit abstraction
Pourquoi préciser qu'il essaie ? S'il n'y arrive pas, ça à du sens, mais si le résultat final est qu'il y parvient, et que ses essais n'ont pas d'impacte sur l'intrigue... alors mieux vaut être direct !

Petite variante :
Elle eut un grognement (Vault_ oui, on parle d'une vampire : p)
Une autre façon de temporiser l'action en ajoutant une appartenance très artificielle. Osef que le grognement soit le sien, il l'est, de facto, puisqu'en définitive, elle grogne.

Satanée machine à écrireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant