Pas le temps

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Le temps passe, régulier, mortel. Ils sont six. Deux heures se sont écoulées. Éparpillés aux quatre coins du labyrinthe, aucun n'a trouvé la sortie. Quatre groupes au total. Deux sont seuls, les autres par paire. Les minutes s'envolent, ignorant le malheur qu'elles causent. 

Il s'appelle David. Brun aux yeux bleus, capitaine de l'équipe de football, tout pour plaire. Terrorisé. Son ami Victor, cheveux noirs, iris marron, en apparence ordinaire. Il lui tiens la main, tente de le rassurer. Ils se connaissent depuis toujours, mais s'étaient jusqu'alors très peu parlé. Le temps qu'ils passaient ensemble était accompagné de silence: ils n'avaient pas besoin  de mots pour se comprendre, ni s'apprécier. 

Ils n'avaient rien eu le temps de voir venir, ou de comprendre quoi que ce soit, tout s'était passé très vite. Quand ils avaient tous décidé de se séparer pour augmenter leurs chances de trouver une échappatoire, il leur avait semblé logique et évident de se mettre ensemble, ce qui en avait surpris plus d'un. Peu avaient remarqué leur complicité. Les dix autres s'étaient alors tous répartis par paire et dispersés dans toutes les directions.

La septième heure s'approche et avec elle vient la panique. Les deux garçons continuent d'avancer, complètement au hasard, dans les couloirs du labyrinthe. Victor chuchote doucement des paroles rassurantes à l'oreille de David, pressant toujours sa main dans la sienne. Les grandes horloges au plafond remplissent leurs oreilles d'un tic-tac assourdissant, si bien qu'ils n'en entendent leurs propres pas que par intermittence. 

Soudain, tous deux s'arrêtent. La terre tremble autour d'eux, David éclate en sanglots. Il sait ce qui va se passer. Victor aussi, si bien qu'il ne prend même plus la peine de dire quoi que ce soit. Il a bien compris que cela serait inutile, il y a des choses que les mots ne peuvent atténuer. Alors il le sert plus fort, prend son menton et le force à le regarder dans les yeux. Il n'aura pas le tentation de regarder la pendule au centre du labyrinthe. Un premier son de cloche retentit, puis un deuxième. Les deux garçons ferment les yeux. Le troisième coup, le quatrième. David rouvre les yeux. Il pose ses lèvres sur celles à quelques centimètres de son visage. Tant qu'à mourir, autant avoir eu son premier baiser avant. Cinquième. Victor le prend dans ses bras. Sixième. Ils ne s'embrassent plus, ils se regardent. A l'instant même où le septième coup retentit, s'élève  un cri rauque et déchirant.

Un cri de fille. La voix de Laura. Ils se serrent plus fort l'un contre l'autre, comme pour se protéger du monde qui les entourent, comme pour oublier les cris de douleur. Le silence revient. David prend le peu de courage et d'espoir qu'il lui reste, et se détache de son ami pour le tirer par le bras. Il ne veut pas mourir. Il ne veut pas qu'il meure. Peu importe comment, il est résolu à trouver la sortie. Il sèche ses larmes, frottant maladroitement sa main libre sur ses joues. L'autre ne dit rien.

Après une demi-heure de marche, le brun sens sa résolution flancher. Il ralentit le pas, petit à petit, pour finir par s'arrêter. Il est sur le point de se laisser choir au sol, désespéré, lorsque Victor, lui prends le poignet, le serre doucement, et approche une main de son visage. Au moment où ses doigts rentre en contact avec la peau du capitaine, celui-ci est pris d'une envie folle de l'embrasser à nouveau. Il le fait. L'un d'eux pouvait mourir à tout moment, ça n'était plus le moment de se poser des questions. Le noiraud lui sourit. Cela faisait un moment qu'il se questionnait sur ses sentiments, mais jamais il n'aurait pensé que cela puisse être réciproque. Malheureusement, ça n'est pas le moment de penser à ça. Ils en parleront une fois sortis de cet enfer. 

Un quart-d'heure plus tard, ils trouvent du sang. Beaucoup de sang. Certains endroits où le liquide était plus épais laissent penser qu'il s'agissait auparavant d'autre chose, probablement un organe. L'odeur âcre leur envahit les narines, et un goût ferreux vient même s'immiscer  dans leur bouche. Ils sont obligés de passer au travers s'ils veulent avancer. Se prenant la main, ils posent un pieds devant l'autre en essayant de regarder ailleurs. Cela était déjà arrivé, bien plus tôt dans ce cauchemar. Victor avait vomi lorsqu'il avait glissé et était tombé dedans. Ça a été au tour de David de rassurer son ami.

Une fois l'obstacle passé, ils arrivent à un tournant étrangement différent des autres. Ils ne savent pas trop pourquoi, mais instinctivement ils se dirigent les deux vers le nord-ouest. Là, pour la première fois, ils aperçoivent l'entrée d'une salle. Fébriles, ils s'avancent avec milles précautions, sans oser dire un mot. Ils se tiennent toujours la main. La salle est ovale, le sol couvert de milliers d'éclats de verre et d'encore plus de grains de sable. Un socle de pierre se dresse devant eux. Ils s'en approchent doucement, essayant par instinct de faire le moins de bruit possible malgré le crissement constant de leurs chaussures sur le sol. 

Sur le piédestal se trouvent plusieurs objets. Une bougie éteinte, une guirlande de fleurs, quelques babioles étranges et au centre, trônant fièrement parmi le reste, se dresse un photo encadrée. Sur celle-ci les deux garçons peuvent voir une fille d'à peu près leur âge, en robe d'été, endormie au soleil.

-Vous n'étiez pas sensés arriver jusqu'ici avant la fin du temps imparti. Dommage.

Les deux plus-qu'amis se retournent dans tous les sens pour essayer de voir d'où peut provenir la voix, en vain. Puis ils se figent lorsque qu'un premier coup retenti. Ils avaient tous les deux miraculeusement échappés à la mort jusque là, mais après ce qu'ils ont entendu, ils savent que ces coup-là seront les derniers qu'ils entendront. La douleur monte lentement des pieds à la tête. Ils se forcent tous les deux à regarder l'autre dans les yeux, à graver son visage dans leur mémoire pour l'au-delà. Le huitième coup retentit. La douleur se fait soudain plus forte, et ils crient à l'unisson. 

La silhouette s'avancent des deux cadavres pour les dissoudre. Deux en même temps, ça va gâcher ses calculs. Elle observe les corps qu'elle s'apprête à réduire en bouillie. Littéralement. Ils se tiennent toujours la main. La silhouette verse son bidon sur leur tête.

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