- Ana! Dépêche-toi, tu vas nous mettre en retard!
Comme toujours, je suis réveillée très tôt par les cris de ma mère. A croire que le fait que mes oreilles fonctionnent bien la dérange. Elle a peur que je sois en retard - ou pire, que je me défile - pour aller l'aider au marché. Mes parents sont producteurs de fruits et légumes, et depuis que je sais parler et vaguement compter, je les aide à les vendre.
- J'arrive, maman! Arrête de hurler bon sang!
- Et toi, arrête de me répondre! C'est toujours la même chose avec toi. Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour avoir une fille pareille? J'espère que ta soeur ne suivra pas ton exemple. Et heureusement, ton frère est déjà devenu quelqu'un!
"Devenir quelqu'un" pour ma mère signifie devenir médecin ou avocat. Le stylisme n'aide pas, selon elle, à "devenir quelqu'un". Chose que j'essaie en vain de lui faire comprendre. Je me retiens donc encore une fois de lui répondre que MOI AUSSI, je peux devenir quelqu'un. Il suffirait juste que quelqu'un puisse un peu croire en ma couture et en mes dessins.
Depuis que je suis toute petite, je dessine sans arrêt des modèles. Au début, ils ne ressemblaient certes à rien, mais je crois que j'ai vraiment ça dans le sang. Je ne peux en tout cas pas m'en passer. De là à dire que j'ai du talent, je n'en sais rien. Et c'est ce que j'aimerais vraiment savoir. Pour cela, j'ai pour objectif de m'inscrire à une annonce que j'ai vue l'autre jour dans le journal. Une boutique parisienne cherche des couturières pour l'aider en période de rush. Et j'espère vraiment pouvoir faire l'affaire. Evidemment, mes parents n'en savent rien.
- C'est bon, je suis là, dis-je. Il faut que j'essaie à tout prix de ne pas énerver ma mère, surtout à quelques jours de recevoir ma réponse pour Paris.
- Enfin ! Allez, on y va ! Sinon les autres auront les meilleurs emplacements et nous allons perdre notre journée.
Je la perds déjà en n'étant pas assise derrière ma machine, maman...
Après être enfin rentrée chez moi, je remonte aussitôt dans ma chambre. Ma mère déteste ça. Elle sait que je pars m'isoler dans mon monde rempli de fils, d'aiguilles, de tissus et de croquis. Je ne sais pas ce qu'elle déteste là-dedans. Je sais bien qu'elle ne se sent pas concernée par la mode, mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi elle veut m'empêcher de rêver. Elle ne sait pas à quel point, moi, j'en ai besoin.
Ma petite soeur, Marie, souhaite devenir médecin. Elle a donc tout le soutien de nos parents. Et il y a fort à parier qu'ils feront tout leur possible pour l'aider financièrement, même si nous ne roulons pas sur l'or. Mon frère, Antoine, est devenu avocat. Il est donc la fierté de ma mère. Mon père, lui, est plus mitigé quant au succès de mon aîné, avec qu'il a toujours entretenu une relation conflictuelle. Mon frère est en effet installé dans un petit village où peu de personnes font appel à lui. Seulement, il ne quitterait la campagne pour rien au monde, contrairement à moi. A croire que ma soeur, mon frère et moi n'avons pas été élevés ensemble.
Je m'appelle Anastasia. Tout le monde m'appelle Ana. Mais, intérieurement, je m'appelle aussi "Le Vilain Petit Canard". C'est ce que je suis pour ma famille.
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De fil en aiguille
RomanceSud-Ouest de la France, 1958. Anastasia rêve de paillettes, de bobines de fil et de vêtements haute-couture. Son objectif : devenir styliste. Mais ses proches tentent tout pour l'en dissuader. Paris, 1958. Mateo rêve de voyages, d'aventures à trave...