1 - Avant le départ

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Reprendre le récit a la manière d'un voyage expiatoire. Les hommes devaient faire ce pèlerinage. Les voyageurs avaient été choisis soit parce qu'ils n'étaient pas dociles, trop fainéants, ou que simplement le roi en avait décidé ainsi. Chacun y allait en revenait ou y passait le reste de sa vie. Rares étaient celles et ceux qui y échappaient. Les fonctionnaires étaient la seule catégorie de salariés qui avaient été vaccinés, protégés.

Nos parents avaient très peu connu cette expédition. C'est l'époque des années fastes. Moi je suis en entrée dans la vie active, à l'époque des premières expéditions. Charrettes, plans sociaux, le voyage pouvait prendre plusieurs noms. Des noms d'oiseaux, des plans zoziaux ! Les années avaient passées, nous étions en 2015 et de plus en plus de gens y étaient condamnés, les plus jeunes et les plus vieux plus que les autres. Les sans travail comme les sans papiers cherchaient une terre d'accueil bienveillante dans le pays.

Mon départ pour l'expédition au pôle Emploi était programmé au 19 octobre. De mon point de vue, les choses allaient se passer simplement. Je suis toujours d'un naturel optimiste. Nous étions en 2015. Internet était passé par là. Les formalités administratives du Pôle Emploi allaient être simples. C'était tout de même le message que l'état nous ressassait depuis des années.

Je vous arrête tout de suite, je ne suis tout de même naïve au point de penser que cette expédition allait être paisible et agréable, ni qu'elle allait me ramener sur les rivages du travail rémunéré. Le voyage commence toujours par la paperasse. Le passage à la frontière. Le moment ou l'on décide pour vous si vous êtes éligible à recevoir une indemnité de compensation. Au poste d'entrée du pole, des papiers, en papier, des stylos et des photocopies. Ce passage vous permet de commencer votre adaptation à ce nouveau espace. Au pole, tout doit être écrit, consigné, conservé, pour prouver, faire des statistiques et d'autres choses secrètes, inconnues. L'administration tente de se défaire du papier, mais elle a bien du mal. Personne ne vous donnera le mode d'emploi complet, ni de certificat de garantie. Vous ne trouverez personne pour vous faire faire le tour du pôle, pas de visite guidée, ni de tuteur dédié, encore moins de période d'essai. Vous êtes désormais seul dans un nouveau territoire invisible, imbriqué dans celui de la France. Un pays qui a ses règles, ses frontières et ses codes. A vous de jouer pour en sortir. Vous avez le pouvoir.

Et puisque c'est une expédition. Il vous faut un sac de voyage. Le strict nécessaire puisque vous êtes maintenant devenu un voyageur permanent, mieux vaut être équipé. J'ai fait mon sac. Pas du tout comme on fait ses valises pour les vacances. Comme si je partais en terre inconnue. J'ai privilégié la mobilité, l'adaptation et évité les choses lourdes et encombrantes. Je ne sais pas combien de temps l'expédition va durer, ni ou elle va me mener. C'est difficile de choisir les objets de route. J'ai réfléchi. Longtemps. Un été. Le temps de mon préavis. Trois mois pour se préparer. parfois, une petite voix me disait de ne pas m'en faire, que l'expédition n'aurait peut être pas lieu, que quelqu'un me tendrait la main avant le départ, que j'éviterai le pole. D'autres jours, le pole se transformait en une plage accueillante des Caraïbes où j'allais enfin pouvoir me reposer, retrouver un sens à ma vie professionnelle, renouer avec mes valeurs morales, me reconstruire après ces mois passés à me faire laminer par une gamine de 29 ans apparatchik sortie des langes de l'UMP. 

A la fin de l'été, j'étais prête pour le voyage. J'ai pensé : la navigation avant tout. L'énergie et le rêve ensuite. Le reste, je le récolterai en chemin au fur et à mesure. J'étais heureuse et plein d'espoir pour cette nouvelle aventure. 

Carnets de voyage au Pôle EmploiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant