Cela c'était passé il y a de cela dix ans environ, un vendredi, quelques minutes avant l'Isha'a. Et pourtant, cela resta gravé en elle, comme si ces évènements s'étaient déroulés hier.
Ce fut d'abord le choc.
Apprendre une semaine avant ses compositions que son frère et sa belle-sœur s'en étaient allés, avait été loin d'être une nouvelle facile à digérer. Sa première réaction : elle s'était évanouie.
Après le choc, vint le déni.
Une fois réveillée, elle avait voulu tout savoir dans les moindres détails : comment cet accident s'était produit, où, pourquoi, par qui... Elle avait aussi exigée les preuves matérielles. Croire de la part de purs étrangers que son grand-frère bien aimé ne faisait plus parti de ce monde était inimaginable. Mais même ça, on le lui avait fourni, et ses larmes ne purent que doubler d'intensité.
Par la suite l'acceptation
Avoir en main propre les images de l'accident l'avait comme figé, et l'espace de plusieurs minutes, son cerveau avait cessé de fonctionner. Les dégâts étaient des deux côtés. Les deux voitures étaient très amochées, et l'une comme l'autre, n'avaient plus aucun passager vivant à bord. « Allahou akbar »* souffla la jeune étudiante. Elle avait conscience que des gens s'adressaient à elle, mais elle se voyait dans l'incapacité de faire quoique ce soit. Que devait-elle faire, dans ce genre de situation ?
Tarek avait toujours été celui qui s'occupait de tout. Ne plus l'avoir à ses côtés... Penser que Diya ne serait plus jamais là... Que des idées qu'elle croyait inconcevables. C'était encore pire qu'il y a de cela treize ans, à la mort de leurs parents. A cette époque-là, elle avait au moins pu compter sur l'aide de son grand-frère, mais maintenant, sur qui pourrait-elle compter ? Brusquement, son cerveau se remit en marche.
Et enfin, elle dû faire face à la réalité.
- « Et les enfants ? » vint sa voix paniquée, bridée par l'émotion.
La policière jeta un coup d'œil à son coéquipier, mais ce dernier se contenta de hausser les épaules.
- « Il n'y avait pas d'enfants dans la voiture. » Fit-elle d'une voix désolée. Et voulant rassurer la jeune femme en face d'elle, elle poursuivit. « Peut-être n'étaient-ils tout simplement pas présents. Quels âges ont-ils ces enfants ? »
- « Huit ans. Ce sont des jumeaux. »
Amaia se leva et traversa sa petite chambre d'étudiante pour retrouver à l'autre bout de la pièce son sac à main, dont elle fit sortir son portable.
- « Que faites-vous », demanda le policier qui était resté debout.
- « J'appelle Mme Dupont », commenta-t-elle vaguement, les mains tremblantes, touchant presqu'à peine les touches de son téléphone, tant la peur lui nouait l'estomac. « C'est chez elle que Tarek laissaient les petits lorsqu'ils sortaient... » expliqua-t-elle brièvement.
Lorsque la personne à l'autre bout du fil décrocha, Amaia eût au départ des difficultés à parler. Mais à la fin de l'appel, elle put raccrocher à demi soulagée.
- « Ils sont bel et bien chez les voisins », expliqua-t-elle aux deux autres personnes de la pièce.
- «J'ai cru comprendre de la part d'une de vos amies à qui nous demandions votre résidence que vous n'aviez plus de famille à part votre frère. »
- « Oui. » Dit-elle d'une petite voix, sentant les larmes monter de nouveau.
- « Et du côté de sa femme ? »
- « Diya est aussi orpheline. C'est à l'orphelinat, qu'elle et Tarek se sont rencontrés » Des larmes finirent par couler, et Amaia se dépêcha de les essuyer. Elle ne voulait surtout pas être prise en pitié.
- « Qui s'occupera de ces gosses ? » demanda le policier, sans délicatesse. « Avez-vous de la famille ailleurs? Voulez-vous que nous appelions les services sociaux ? »
- « Derek », gronda doucement sa collègue.
Amaia n'avait jamais eu un regard aussi sombre que lorsqu'elle fixa cet homme, avant de finir par détourner les yeux.
- « J'ai un job. Je peux très bien m'en sortir. Mes neveux n'ont besoin de personne d'autres. »
- « Ca, ce sera aux services sociaux d'en juger »
- « C'est déjà, tout vu », répondit avec fierté le bout de femme. Il était hors de question que Yasmina et Abbes passent par ce par quoi elle et son frère étaient passés, et surtout pas si elle avait son mot à dire. « Je suis majeure et je suis leur seule parente encore en vie »
Elle venait d'avoir vingt-deux ans ; elle était encore à l'université ; vivait dans une chambre d'étudiante ; le travail qu'elle faisait lui suffisait tout juste pour sa modeste vie ; et voilà qu'elle avait accepté à elle seule –et se battrait bec et ongle s'il le fallait si quiconque le contestait- la charge de ses deux neveux. Et par la grâce de Dieu, elle leur donnerait une éducation aussi belle que celle qu'elle reçût.
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Allahou akbar : Allah est plus grand
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La Tante
SpiritualAprès les décès de son frère et de sa femme, Amaia recueille chez elle leurs deux enfants, Yasmina et Abbes, alors qu'elle-même a à peine de quoi vivre. Les années passèrent lentement, pas toujours dans la joie, mais pas toujours dans le malheur non...