C'est une sensation bizarre.
Je me retrouve un vendredi, en plein après-midi, chez moi, comme un con, assis à la table de la cuisine, en train de relater ma vie insipide sur le net alors que le monde tourne à l'extérieur, alors que les gens, les vraies gens, les gens bien travaillent, gagnent leur vie, tissent des liens, rient, s'arrachent les cheveux, stressent, se font réprimander, obtiennent des promotions.
J'ai l'impression d'être à part de ce monde-là, comme si le monde continuait d'avancer comme il l'a toujours fait et que moi, je restais là, à le regarder passer, sans y prendre part.
J'ai l'impression de ne pas exister, en fait.
D'être inutile.
Je me suis souvent fait la réflexion que si je devais disparaître, je ne manquerai à personne. Ou de parier sur le nombre de personnes qui seraient présentes à mon enterrement.
C'est une réflexion qui m'est apparue relativement tard, peut-être il y a quatre ans, au moment du décès de ma mère. Jusque là, je n'y avais jamais vraiment songé, et pour cause : habitant à trois cents kilomètres de chez moi, ma mère me téléphonait tous les soirs pour savoir comment j'allais. Difficile de se sentir seul dans ces conditions.
Même si nous n'avions jamais de grandes conversations – ma faute, même avec elle, je n'étais jamais très loquace – le fait d'avoir quelqu'un qui s'intéresse à soi, faisait que je ne devenais pas fou.
Quand elle est morte, je me suis rendu compte qu'à part elle, tout le monde se fichait de moi. Autant au début, ça ne me faisait rien, mais au fil des mois, cette impression de ne pas exister aux yeux des autres, le fait de n'avoir personne à qui se confier, tout ça a commencé à me rendre dingue.
C'est pour ça que je suis allé voir un psy.
Pour évacuer. Pour me lâcher.
Mais je n'ai pas réussi. Peut-être parce que je ne le trouvais pas sincère dans son intérêt pour moi.
J'ai l'impression parfois d'être capable de « sentir » ce que les gens pensent de moi assez rapidement. C'est prétentieux de ma part de le dire, mais c'est vrai.
Et ce psy, je sentais qu'il s'intéressait surtout au fait que je lui rapportais quatre-vingts dollars par séance de quarante-cinq minutes. J'ai donc arrêté de le voir au bout de trois séances, malgré quelques observations intéressantes de sa part.
Je me suis décidé à me rabattre, provisoirement, sur des médicaments, pour calmer mes accès de panique quand je commence à trop cogiter sur ma solitude et sur l'indifférence que les autres portent à mon égard.
Cela fait quelques mois maintenant que je prends des médocs.
Et je dois aussi avouer que dernièrement, j'ai légèrement augmenté les doses. Je sais, ou du moins je me doute, que ce n'est pas bon pour mon état. C'est pour ça qu'il a fallu que je me trouve un autre « remède ».
Le fait de mettre par écrit mon mal-être m'aide à prévenir en quelque sorte ces accès de panique, j'ai l'impression.
Il faut que je me force à écrire. Car là, en ce moment précis, je n'ai qu'une envie : me ruer sur les médocs. Et je sais que je dois me calmer là-dessus.
Je vais donc me forcer à écrire.
On venait de finir la pause déjeuner. Tout le monde venait de rejoindre son bureau. De ma place, j'observais Patrick. Lui ne me voyait pas. Il étalait des dossiers devant lui, histoire de faire croire qu'il bossait. Je continuais de l'observer.
VOUS LISEZ
Point of no return
Mystery / ThrillerJe suis un être terne, sans relief. Sans intérêt. Je l'ai toujours été. La faute à cette fichue timidité et ce chronique manque de confiance en moi. Trente-sept années à encaisser les railleries, moqueries, tromperies et déceptions en tout...