Premier jour - Sarah

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Sarah sortit de sa première journée de formation la tête remplie de textes juridiques, de lois et de tableaux de recensement. Malgré l'investissement du formateur, l'implication des stagiaires et la bonne humeur qui s'en dégageait, elle ressentit le besoin presque viscéral de sortir prendre l'air, d'évacuer, de se sentir anonyme dans la foule.

La nuit venait de tomber sur Paris, une fine pluie recouvrait les trottoirs, les toits des immeubles, se fixait sur les cheveux des passants. Le froid de février s'abattait sur les corps, se faufilait sous les vêtements.

Ce matin, elle était partie de chez elle avant le chant des oiseaux, avait embrassé son fils endormi, son mari, essuyé une petite larme qui coulait le long de sa joue, attrapé sa valise et laissé le train l'emmener quatre longs jours loin de sa famille, de ses habitudes, de la forme rassurante du quotidien.

Sarah s'était toujours sentie seule. Issue d'une famille nombreuse, elle ne parvenait toujours pas à trouver sa place, se sentant mal à l'aise, épiée sans cesse et jugée par ceux qui devaient justement l'aimer pour ce qu'elle est et non pas pour ce qu'elle devrait être. Pour cela, elle s'adaptait à tout le monde sûrement par peur de décevoir. Il fallait qu'elle aille dans le sens de chacun, ne pas froisser les susceptibilités des uns et des autres. Pourtant elle aurait tellement voulu avoir le cran de dire les choses, de ne plus se cacher derrière son rôle de maman dévouée, de femme raisonnable et sage. Et enfin, faire tomber l'armure qui lui pesait.

Ce matin, elle s'était installée dans une petite chambre au troisième étage, dans un hôtel de la Porte d'Italie, avec une vue imprenable sur le périphérique sud, les files de voitures et les klaxons incessants. Elle eut le temps de ranger ses affaires, de déposer sa trousse de toilette dans la salle de bain, de positionner une photo de son fils sur la table de chevet et de descendre prendre un café avant d'attaquer son premier module de stage, dans les locaux de l'hôtel.

Elle assistait à une formation sur la rédaction des contrats et des actes juridiques. Sa première journée de stage s'était bien déroulée, le contenu était vaste et les débats très constructifs. Cela lui permit de se vider la tête et de ne pas penser à la solitude qui l'attendrait à la fin de la journée. Leur petit groupe de douze personnes se complétait parfaitement, Sarah était la plus jeune. A dix-sept heure trente, chacun partit et elle décida d'aller se promener seule, pour l'une des premières fois. Elle ne trouvait pas d'intérêt à faire les choses sans personne à ses côtés pour partager. Mais aujourd'hui, elle avait besoin de voir des inconnus, de se sentir anonyme dans la foule et de souffler un peu.

Avant de sortir, elle remonta rapidement dans sa chambre et se laissa tomber sur son lit. Elle ôta ses bottes couleur Camel et son manteau noir qu'elle jeta sur la chaise de bureau. Elle dénoua l'élastique qui retenait ses longs cheveux bruns et enleva les lunettes qui lui étaient très utiles lorsqu'elle devait se concentrer. Une fois à l'aise, elle parcourut le plan de la ville que son hôtel lui avait fourni et elle jeta bien vite son dévolu sur le quartier du Chatelet. De nombreux monuments historiques y étaient regroupés et elle adorait les vieilles pierres et surtout l'histoire qui s'en dégageait. Elle dit souvent que l'histoire façonne le présent, qu'il faut la connaître pour mieux appréhender la façon de voir les choses. Il faut connaitre le passé pour comprendre l'instant présent et assumer le jour qui vient.

Elle se rendit dans la salle de bain pour retoucher son maquillage : une pointe de mascara et de gloss rose vinrent rehausser son teint. Elle se regarda dans la glace et ses grands yeux verts lui renvoyèrent l'image d'une jeune femme un peu lasse. Tirant la langue à son reflet elle vaporisa une touche de son parfum sur sa robe noire fétiche. D'un pas volontaire elle enfila son manteau, ses bottes et fit trois tours d'écharpe autour de son cou. Elle attrapa son sac en bandoulière et claqua la porte derrière elle.

Et puis un jour...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant