PREMIERE PARTIE
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Axel connaissait bien la période où tout avait basculé. Bien sûr, il n'était pas encore né à l'époque des grands changements. Mais grâce à l'éducation reçue de ses parents, journalistes de métier, il avait pu recomposer l'histoire et comprendre beaucoup de choses. Après des années de grave crise économique, de nombreux pays s'étaient retrouvés plongés dans le chaos. La violence et le crime étaient devenus le lot quotidien des populations, et la situation ne faisait qu'empirer. Pour remédier à cela et reprendre le contrôle, les autorités avaient instauré la Loi de Donation.
L'idée consistait à prendre les enfants à leurs parents dès la naissance pour les faire grandir dans des centres spécialisés. Ainsi, dès les premiers instants de leur existence, ils étaient sous contrôle. Le Premier Ministre avait réussi à convaincre les futurs parents : selon lui, c'était la meilleure solution pour assurer l'avenir de leur progéniture, et par la même occasion leur existence serait simplifiée. Pour faciliter la mise en place de cette nouvelle donne, Hector Salazin avait commencé par cibler les familles les plus pauvres. Il ne trouva que des avantages à s'adresser à ceux qui étaient à la fois les plus nombreux et les moins éduqués de son pays. Plus facile à manipuler, la population concernée ne montra pas une farouche opposition. Grâce à son talent d'orateur, le Premier Ministre les persuada facilement que les conditions de vie seraient meilleures pour tous. Dans un contexte où la vie coûtait de plus en plus chère, où ils enchaînaient les heures de travail et n'avaient plus le temps de s'occuper de l'éducation de leurs enfants, cela paraissait être une très bonne solution.
Les années passèrent et la Loi de Donation devint une normalité pour tous. Pendant la grossesse, les futurs parents devaient signer de gré ou de force un document affirmant qu'ils ne seraient plus légalement responsables de leur enfant. Le papier stipulait également qu'il leur serait interdit d'entrer en contact avec lui, sous peine de sanctions pouvant aller d'une simple amende à l'emprisonnement. Heureusement pour Axel, sa mère avait caché sa grossesse aux autorités et ses parents s'étaient débrouillés pour ne pas signer le Contrat de Donation. Ainsi, ils avaient pu élever leur fils eux-mêmes, à l'écart de tout ce système.
Un jour, le père d'Axel lui avait raconté que son oncle avait été assassiné. Avec les mots qu'un enfant pouvait comprendre, il lui avait expliqué qu'il avait été abattu quelques années plus tôt par des inconnus en pleine rue alors qu'il occupait un poste très important, Ministre de l'Education. Le père d'Axel avait alors
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bredouillé le nom de Salazin, persuadé de son implication dans ce drame. Axel n'oublia jamais ce moment, car il vit pour la première fois de la haine dans les yeux de cet homme qu'il aimait tant et admirait plus que tout. Ensuite, son père lui avait enseigné l'histoire de son pays, insistant bien sur la dernière décennie afin que son fils prenne conscience de la gravité de la situation. Impliqué sans relâche dans l'opposition, il effectuait quelques piges pour un journal clandestin. Régulièrement, Axel se remémorait le passé. Avec nostalgie, le jeune garçon relisait un article que son père avait rédigé sur sa vieille machine.
« Le jour de l'assassinat du Ministre de l'Education, le Premier Ministre en exercice, Hector Salazin, annonça toute une série de mesures visant à améliorer la sécurité dans le pays. De façon totalement arbitraire, il mit le meurtre de son collègue sur le dos de jeunes issus d'un gang, et ce sans même avoir la moindre preuve. Il en profita pour faire valider de nouvelles lois en urgence. De véritables lois martiales, qui devaient être mises en place temporairement et seraient levées lorsque la situation redeviendrait plus calme. Ces lois n'étaient en fait qu'un début. Elles sont toujours en vigueur aujourd'hui, et elles ont été largement renforcées.