Endeuillé

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     «Toutes mes condoléances.» : C'était les mots que j'avais entendus il y a quelques jours. Je sortais de la voiture péniblement. Quatre ans, quatre ans sans voir une fois mon grand-père qui m'était proche et qui, à présent, repose en paix. J'étais enfin sorti de la voiture.

     Le paysage de cette vieille forêt et de cette rustre bicoque n'avait pas changé. Toujours ces dizaines de briques qui devaient servir à un « projet » comme le répétait mon grand-père. Rien n'avait changé : les arbres penchés par le vent, le ruisseau en cavale... La seule différence que je vis fut mon grand-père dans un cercueil noir comme la nuit, dont les poignées grinçaient tandis que d'immondes rats les mordillaient. À ma grande surprise, j'étais la seule personne assistant à l'enterrement. Pendant ces quatre années, loin du village, isolé dans la forêt... les habitants qui l'adoraient... l'avaient-ils oublié?

     La cérémonie venait juste de se terminer. Les larmes coulant le long de mes joues, depuis le jour où la mort de mon grand-père m'eut été contée à la manière dont il me contait étant jeune des histoires d'épouvantes et de créatures fabuleuses, s'amenuisaient et séchaient dans le creux de mes joues. La vie continuait, je devais me remettre à vivre.

     Soudain, j'entendis un bruit qui fut suivi de près par une fumée noire, sombre, mais surtout épaisse.

     J'essayais de me rapprocher. La fumée commençait à se dissiper et je vis alors un tronc colossal, massif, étendu sur ma voiture. Pouvait-on toutefois encore appeler cela une voiture? Je ne peux le dire, mais cet incident m'obligeait à repartir à pied, dans la forêt.

     Je pouvais partir après avoir difficilement extirpé quelques affaires de cette carcasse d'acier malmenée, mais ce qui me préoccupait le plus, à ce moment, était d'avoir égaré ma lampe de poche.

     Je commençai donc mon pèlerinage vers la ville, dans la pénombre. Repensant à ma drôle de mésaventure je plaisantais et des pensées absurdes me faisaient rire de plus belle : Ce sont les dryades! Hommes-arbres et esprits de la forêt, épargnez-moi! Je trébuchai sur ce qui semblait être une racine : «Ce sont encore eux!», dis-je en ricanant. Puis, après quelques minutes très calmes, le vent se leva à nouveau, fracassant le sol de ses bourrasques.

     Un bruit! Un bruit qui me faisait frissonner sans aucune raison connue. Ce son dans mon oreille résonnait comme si l'écorce des arbres craquait en un unisson macabre. Ensuite, je restais planté là, étant incapable de bouger. Je ressentais une présence entre mes pieds, sans doute des feuilles qui étaient emportées. Mais je ne pus regarder, et affolé instantanément, comme si on m'avait pris en chasse, je me mis à courir en priant de ne pas mourir. Le vent grandissait encore, son vrombissement comme une lourde respiration m'englobait entièrement. Pendant ma course, une branche recouverte de nombreuses feuilles me poussa et m'arrêta net.

     Moi qui avais toujours réponse à tout, je ne percevais pas l'ampleur de ces événements et je suais à grosses gouttes en en cherchant le sens. À peine étais-je relevé, que le tonnerre s'ajouta à cette folle nuit.

     Puis, illuminé par le flash des éclairs, j'aurais juré voir les arbres bouger. Je tournais sur moi-même pour essayer de distinguer la moindre forme suspecte. Je tournais encore et encore. Puis en m'arrêtant, je crus sentir le sol trembler en un ultime grondement. Sans savoir pourquoi, je criai:

«Les rampants se joignent à cette fête diabolique!»

     Je me remis à courir, sans toutefois connaître ma destination. Peut-être m'enfonçais-je encore plus dans la forêt, ou réussirais-je enfin à m'échapper?

     Mon visage était fouetté par les branches. Courir, c'était ma seule solution.

     Je tombai, et me tordis la cheville. De surplus, j'avais l'épaule coincé par une main que semblait former des racines maigres et tortueuses. J'étais dans un trou.

     Une masse ténébreuse se penchait sur cet énorme gouffre. Un éclair dessinait un quatre...

     «Quatre ans... », chuchotai-je. Ma jambe ne me portait plus. Mon bras m'était rendu, disloqué... La lune était pleine. Le corbeau était perché sur le bord. Je marchais, je tombais, je marchais, je tombais, je grimpais, je tombais, je grimpais, je tombais...

     «Les histoires de mon grand-père...», murmurais-je en un souffle long.


Nouvelles-(C)ontesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant