"Gèle"

Prologue

Les voix s'étaient tues, les sourires s'étaient perdus, les yeux s'étaient ouverts. La jeune faery coupable de cela avait baissé ses yeux pâles. Son pays était pauvre, elle le savait. Il était occupé, elle le savait. Ils étaient surveillés, elle le savait aussi. Ce pays de glace infinie, coupé du monde par les Pierres, n'était plus qu'une ruine de son passé si fier, si puissant. L'enfant prit une bouchée nouvelle de son pain avec force, tentant de se persuader elle même de sa conviction, de sa détermination à toute épreuve. Le père avait serré ses deux poings épais, contractant sa mâchoire angulaire d'un même élan. 

" Je te savais malade, je te savais folle. Mais pas ingrate. Tu fais honte à ta famille, en voulant suivre sa bêtise."

Ce bref discours suffit à enserrer le coeur de la coupable, insultée, reniée. Le petit frère avait pleuré en silence, ne pouvant aider son aînée sans subir sa sentence. Les yeux pâles de la jeune femme ne s'embuèrent point, et elle les releva, croisant le regard de son géniteur, teinté d'un bleu sombre, où une blessure de plus venait de s'ancrer à jamais. Sa fille, sa précieuse fille au sang froid, sa blanche, sa merveille. Elle voulait partir voir l'arrière des Pierres. Elle voulait suivre les traces de sa folle de mère, toujours présente dans leurs coeurs à tous, honteusement. Il les avait élevés, nourris, logés, malgré les soldats, malgré le sang, malgré les pleurs et les râles du vent de ce pays brisé par la guerre civile. 

La jeune fille donna son pain au dernier enfant de sa maisonnée et s'en alla calmement dans sa chambre. Elle prit un sac de tissus épais et le remplis de vêtements et de produits différents. Elle voulait étudier ce monde, là, dehors.  Elle voulait connaître l'herbe, les couleurs, la chaleur du soleil, qu'elle ne connaissait pas dans ce pays de lune. Elle avait soif de connaître. Elle voulait être capable de soigner tout mal, guérir toute blessure. Et pour cela, il lui fallait sortir. Vers ce monde inconnu qui sauverait le sien, vers cette terre aux milles saisons, vers l'avenir de son peuple.