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En cette chaude soirée de juin 2015, et ce depuis bientôt deux ans, l'arène de Winter Park bruissait des acclamations d'un public enchanté, mais avide d'en avoir plus.

La NXT avait su se faire un nom dans le monde du catch et pas uniquement grâce à son statut d'école de la WWE, modelant les stars de demain. Les athlètes qui y travaillaient donnaient leur maximum pour faire honneur, dépassant souvent leurs limites pour le plus grand plaisir de tous. Au bout du compte, le potentiel de certains catcheurs de ce roster de ''moindre niveau'' devenait un véritable talent sous la plume des scénaristes et grâce aux entraînements de l'équipe du centre de développement. C'est ainsi que les adorateurs de ce sport si peu apprécié à sa juste valeur suivait les combats de ces stars en devenir avec un peu plus d'enthousiasme chaque semaine.

C'était pour cette raison, en dépit de l'ambiance électrique propre à ce genre d'évènement, qu'Eva Marie commençait à s'alarmer dans les coulisses, attentive à la moindre inflexion de ton de la foule passionnée réunie autour du ring. La barre était très haute ici, la diva n'en était que trop consciente et eux aussi. Malgré les chaleureux encouragements de ces nouveaux collègues, elle ne parvenait pas à se débarrasser de cette sourde angoisse qui lui tordait le ventre et faisait fuir Morphée depuis une dizaine de jours.

Elle n'était connue des spectateurs que pour sa chevelure flamboyante, sa plastique de poupée Barbie, ses tenues aguichantes - ce qui jusque-là n'était pas dépaysant dans la division des divas - et surtout sa faiblesse sur le ring. Son rôle dans Total Divas laissait à penser qu'elle se satisfaisait de son apparence sans prêter attention à son métier, mais c'était faux.
Pour elle, le catch n'était pas une lubie ou une simple façon de gagner de l'argent en s'exhibant. Certes, Eva s'aimait ainsi et se faisait un malin plaisir de jouer de ses atouts, mais ce n'était pas pour cela qu'elle souhaitait être reconnue à la WWE, elle voulait être connue en tant qu'athlète. Elle aimait réellement cela.
Il est vrai que la diva avait brusquement été précipitée dans le main roster, ne lui laissant que peu de temps pour s'entraîner et surtout pour se préparer aux réactions du public. Personne, absolument personne, n'était préparé à cette vague humaine qui pouvait porter vers des sommets par son amour ou vous recracher parfois sans raison, brisé, sur le rivage.

Ce fut son cas.

Eva savait qu'elle n'était pas très douée, voire carrément mauvaise, elle n'était pas si sotte. Les jugements négatifs étaient néanmoins compréhensibles. Divertir le spectateur était de toute façon le but de jeu, lui déplaire en était une manière toute particulière, parce qu'il ne fallait pas se mentir: huer et critiquer quelqu'un procurait une certaine sensation de joie malsaine et d'auto-suffisance, mais personne ne méritait un traitement si cruel et condescendant. Elle avait conscience de cette partie du contrat, mais elle n'avait pas signé pour se faire insulter haut et fort à la sortie d'une arène ou se faire lyncher constamment sur les réseaux sociaux. Il lui était même arrivé de recevoir un mail de menaces franchement inquiétant.
Elle avait fait mine de s'en accommoder durant des mois, mais saisit d'une boule au ventre de plus en plus écrasante dès qu'elle se rendait sur le ring. C'était valable même lorsqu'elle faisait office de plante de verte à accompagner des divas plus imposantes, ce à quoi avait dû se résoudre l'équipe de Créatifs une fois ayant constaté qu'elle n'était pas capable de faire mieux.
Sur scène, Eva Marie avait toujours l'air confiante, à la limite de la prétention, et imperturbable dans ses tenues affriolantes, les lèvres ourlées de son meilleur sourire aguicheur parce que le métier l'exigeait. Il ne s'agissait d'un rôle de composition qui semblait taillé sur mesure, mais qui était de plus en plus dur de jouer car dans le fond, elle souffrait. La pauvre en était arrivée au point de ne plus réussir à manger et dormir convenablement

La confiance en elle qu'elle avait gagnée, petit bout par petit bout, après un fastidieux travail personnel suite à ses problèmes d'alcool lié à un pauvre type qui n'en valait même pas la peine, s'effritait. Il s'agissait d'années de construction pour finalement revenir au point départ.
Pourtant, elle luttait pour ne pas se faire impressionner, constatant que d'autres nombreuses collègues étaient logées à la même enseigne. Oui, elle luttait constamment parce qu'elle avait assez souffert auparavant, au fond du gouffre à se sentir misérable, et il était hors de question que cela perdure plus longtemps.

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