Tic, tac

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« Ma chère petite fille,
Je t'écris cette lettre car mes jours sont désormais comptés. Ceci est mon testament, en quelque sorte. Je n'ai malheureusement aucune fortune, aucun bijou ou objet de valeur, à part une montre à gousset. Je vais te la léguer ainsi que son histoire, celle que je n'ai encore jamais avouée à personne. Je craignais qu'on me prenne pour une folle ou pour quelqu'un qui cherche à attirer l'attention en s'inventant une vie étrange.
Et pourtant, tout ce que tu vas lire est vrai. Même si je n'arrive toujours pas à l'expliquer...

Je devais avoir à peine huit ans et j'étais en vacances en Bretagne, chez mes grands-parents. Tout a commencé un beau jour de juillet, alors que le vent avait décidé de souffler et que les nuages s'étaient éclipsés, laissant le soleil régner sur les cieux tel un maître indétrônable.

J'étais occupée à faire des châteaux de sable sur la plage, ma grand-mère discutant avec une autre dame, abritées sous un parasol. Au bout d'un moment, commençant à m'ennuyer, je profitai de l'inattention de ces dernières et me dirigeai vers les rochers, au tournant d'un mur. J'aimais être ici, personne ne pouvait me voir. Je m'asseyais sur les rochers et contemplais l'immensité de l'océan, le regard perdu dans le vague. Je voyais s'écraser les vagues contre les rocs dans une gerbe d'écume, apportant l'odeur salée de la mer.

Mais ce jour-là, assis entre ces rochers, se trouvait un petit garçon. Il était blond comme les blés, et lorsqu'il se tourna vers moi, je pus voir ses yeux d'un bleu profond et saisissant. Son visage portant les rondeurs de l'enfance trahissait son jeune âge et ses lèvres découvrirent des dents blanches lorsqu'il me sourit.

- Bonjour, je m'appelle Aurélien et toi?
- Je m'appelle Anna, répondis-je en lui rendant son sourire.
- Dis, tu voudrais jouer avec moi?

Je hochai la tête avec entrain. Nous passâmes au moins deux heures à nous imaginer une vie au milieu des rochers, à lutter contre les vagues, à jouer aux pirates. Nous jouions avec l'imagination sans limite et l'insouciance, si propres à l'enfance.

A un moment, il sortit une petite montre à gousset de sa poche accrochée à une chaînette dorée. Elle était magnifique mais semblait appartenir à un temps passé: dorée, d'apparence neuve. Une fleur de lys était gravée au milieu, entourée par un cadran fait de vingt-quatre losanges. Lorsqu'il l'ouvrit, je pus voir l'intérieur. Deux cadrans étaient gravés, représentant deux temps différents, deux réalités différentes.
Au fond, on pouvait voir le même cadran que sur le devant de la montre. Une aiguille dorée désignait le deuxième petit losange.
A l'intérieur de ce cadran se trouvait un cadran de montre ordinaire, avec des chiffres romains disposés en rond. Une petite et une grande aiguilles noires montraient le cinq et le onze et une dernière aiguille, plus fine que les autres, égrenait les secondes en produisant un petit son métallique : "Tic, tac".

- Il est presque cinq heures! s'exclama-t-il. Je devrais y aller sinon mes parents vont me sermonner...

Je soupirai, décue.

- Déjà? On se reverra demain?

Il me sourit et leva le pouce, puis se détourna et partit.

Pendant une semaine, nous jouâmes ensemble toute l'après-midi. Mais ce n'est qu'aujourd'hui que je me rends compte d'une chose. Jamais il ne me toucha, pas même par inadvertance. Il restait toujours à une distance de quelques centimètres de moi.
Chaque jour, il regardait sa montre et partait à cinq heures.

Un jour, alors que le ciel se couvrait lentement de nuages menaçants et que notre fort de pirates était assailli par une horde de corsaires imaginaires, ma grand-mère s'avança vers nous. Je levai la tête, surprise, et arrêtai de jouer, la fixant d'un air intrigué. Moi qui pensais qu'elle n'avait pas remarqué que j'allais sur les rochers...

Tic, tacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant