"C'est seulement à travers les sentiments qu'on pense ne pas être seuls."

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-Papa..? demandai-je hésitante, encore une fois. Pourquoi ne me laisses-tu jamais aller dehors?

-Parce que dehors, ma chérie, c'est dangereux.

Il n'a jamais voulu m'expliquer en quoi. C'était toujours cette seule et même réponse que je pouvais entendre, devais entendre. Je ne comprenais pas ce qu'il y avait de si important à cacher, dehors, pourtant.

Seize années. Seize ans déjà que je vivais enfermée -pour ne pas dire séquestrée, même si ce mot convenait plus- dans cette maison. Seize ans que mon père s'occupait seul de moi, seize ans que ma mère était morte -du moins, ce qu'on m'avait dit-, seize ans que je n'avais aucun contact avec le monde extérieur. Pour vivre correctement, j'étais obligée de me nourrir de ma solitude qui m'envahissait entièrement.

Ma vie était paisible, mais il y manquait plusieurs choses: l'adrénaline, les sensations réelles, les amis, les sentiments.
J'avais l'impression d'être un robot, par moments, à toujours répéter les mêmes phrases, les mêmes actions, les mêmes questions. Et mon père était encore pire. Les seules choses qu'il disait semblaient être programmées par quelqu'un, à force de les répéter si souvent: "N'ouvre surtout pas cette porte", "dehors, c'est dangereux"; "ne sors pas", et d'autres trucs du genre. Mais comprenez-moi, en tant que jeune adolescente de seize ans, j'avais envie de vivre ! Vivre réellement.

-Pourquoi ? tentai-je de demander de plus belle.

Je ne m'attendais pas à une réponse. Du moins, pas une réponse valable. Comle d'habitude, encore une fois.

-Tu comprendras quand tu grandiras.

Cette phrase, il me la répétait depuis que j'avais six ans. J'ai sûrement dû grandir, tour de même, en dix ans ! Je pouvais très bien comprendre maintenant ! Alors pourquoi attendre ?

Je n'osai pas en dire plus. La dernière fois que je l'avais bombardé de questions, je l'avais vite regretté. J'avais, ce jour-là, appris quelque chose sur mon père : il est vraiment gentil, doux et attachant, mais on avait intérêt à faire ce qu'il exige, sinon, il pouvait très bien se montrer beaucoup moins gentil, doux et attachant, si vius voyiez ce que je voulais dire.

Je lui tournai le dos et rentra pour la énième fois de la journée dans ma chambre. Je n'avais plus rien à faire, à part respirer. Toutes les (autres) activités possibles et imaginables que quiconque était capable de faire dans cet endroit, je les avais pratiquées au cours des dernières années, quand l'adolescence était arrivée en même temps que ce fort désir de sensations fortes et de vraies actions.

Souvent, je me demandais comment mon père faisait plur trouver de la nourriture, ou quoi que ce soit d'autre. Mais encore une fois, je n'osai pas demander. Je ne vivais quasiment que dans le silence, enfin de compte. Soit je posais quelques questions -auxquelles je n'obtenais aucune réponse- soit je le taisais.

Le silence et la solitude. On pourrait penser que ça pourrait faire partie des pires choses, dans la vie. Mais finalement, ça ne me dérangeait pas tant que ça. Ce n'était pas parce que j'avais envie d'action que je voulais absolument changer de mode de vie. Celle que j'avais me convenait parfaitement... enfin, presque.

Cette nuit-là, mon père était étonnament debout. Il se trouvait dans la pièce principale, et avait l'air de chanter, ce qui n'était pas vraiment son genre. Déjà que je ne l'entendais presque jamais parler, alors l'écouter chanter était vraiment surprenant.

Je sortis de ma chambre, après de longues minutes -ou heures, je ne saurais les différencier- pour me diriger vers le chant de sa voix cassante et enrouée. Je voulus me boucher les oreilles pour arrêter d'entendre ce qui ressemblait à des cris d'agonie, et me souvins où le coton se trouvait. Je m'elançai vers la salle dans laquelle étaient entreposés de nombreux médicaments, mais on m'attrapa le bras avant que je l'atteigne.

[EN PAUSE] Escaped.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant