Il me regardait. Ses yeux vifs s'étaient arrêtés sur la chose la moins belle du monde. Il ne me reluquait pas, il se contentait juste de me comprendre en un seul regard. Je l'intéressais, j'étais différente disait-il.
Il appréciait parcourir les traits de mon visage, chacune des courbes avec ses mains gracieuses. J'appréciais la chaleur de son corps près du mien, ses épaules fines, sa mâchoire carrée.
On regardait les étoiles, assis dans l'herbe du parc, réfléchissant aux mystères de l'univers. Sa vision douce et mélancolique du monde confrontée à la mienne. Celle d'une terre remplie de douleurs et de pertes.
Il me parlait de sa famille avec sa voix grave. Des son frère, de ses parents et de son chien, Esperanza. Il se confiait à moi.Nous riions assis au bord de la rivière. Nos doigts entrelacés dans une étreinte sans fin. Nous plongions dans l'eau glacée, nous foutions des risques d'hypothermie, notre insouciance de jeunesse guidant nos actes . On se souriait, complices, nos yeux brillants de vie.
Nous roulions dans un désert de roches, la Lune accompagnant notre voyage. Les cahots des cailloux sous les pneus de la voiture. La fumée de son joint rejoignant les lumières du ciel. L'odeur de la nourriture grasse du fast-food. Mon coeur battant au rythme de la musique. Deux âmes perdues au fin fond du monde .
Nous nous étions arrêtés et nous avions parlé, débattu.
-Pourquoi les gens sont tristes ?
-Pourquoi on pleure ?
Nous n'avions pas trouvés de réponse ce jour-là.Nous étions allés à la patinoire. Je n'arrivais pas à tenir sur les patins. J'avais dit que j'étais minable, bonne à rien. Il m'avait regardé, longtemps, et avait prononcé ces mots :
" - Tais-toi. Tu es magnifique ."
Et il m'avait embrassé au milieu de la glace. Ses mains soutenaient ma taille, les miennes étaient posées sur son cou.
Je l'aimais. Il était mon rempart contre les ténèbres qui sommeillaient en moi.Les mois défilaient. Notre relation devenait tendue, les disputes se multipliaient. Je pleurais, perdais espoir. Il sortait avec ses amis, il buvait.
Nous nous étions réconciliés. On riait comme avant. On se soutenait comme avant. On parlait comme avant.
" - Pourquoi nous voyons des formes dans les nuages ? Lui demandais-je.
- Parce que nous, les humains, aimons associer des éléments concrets aux choses abstraites. Ne pas comprendre quelque chose nous rend fous alors que le mystère est ce qu'il y'a de plus beau. " Me répondait-il.Il devenait un homme. Ses joues s'étaient couvertes d'un manteau piquant, ses traits se précisaient. Il n'était plus l'adolescent longiligne, flottant dans ses t-shirts XS que j'avais rencontré il y a deux ans.
Sa mère était morte. Nous l'avions enterré dans un tombeau familial. Maintenant, je savais pourquoi on pleurait.
La douleur est bien trop forte. Notre coeur est tordue de souffrance; alors, nous pleurons. Nous nous laissons aller, nous faisons tomber les masques. Arrêtons de jouer la comédie, arrêtons de dire que tout va bien. Nous laissons couler notre affliction sur nos visages désolés.
Je l'avais soutenu, consolé. Sa mère était morte mais lui aussi.
Son sourire légèrement tordu avait quitté son visage. Ses yeux n'avaient plus le même éclat.
Son corps était là mais son esprit était parti loin, loin dans la voie lactée; il gisait au milieu des étoiles.Trois ans. Mais qu'était-ce réellement trois années ? Mille quatre-vingt- quinze jours ?Ou des souvenirs emmêlés dans les rouages du temps ? Des sentiments s'entremêlant pour former une mélodie chaotique ?
Cela faisait trois ans que son regard avait croisé le mien.Tournais, tournais le temps.
Égrenant le décompte de nos fins.
Insufflant le doute jusqu'au printemps
Qui était-il réellement, ce sombre assassin ?Nous étions toujours là. Lui avec son âme de philosophe et moi avec mon âme d'humaine, disait-il .
Être ou ne pas être telle était la question.
Mais si l'on avait changé, étions nous toujours la même personne ou avions nous évolué tout en restant coincé dans le même corps ?Nous avions emménagé alors que les feuilles viraient à l'orange. Nous étions dépassés mais heureux.
Nous prenions des responsabilités, nous payions nos factures. Et d'autres sentiments naissaient.Est-ce - qu'être adulte, c'est regretter son adolescence ? Se dire que l'on a été tellement con quelques fois que l'on ne pouvait même pas revenir en arrière ? Se rendre compte qu'un chapitre de notre vie est révolu ? Je n'en sais rien, je sais juste qu'un nouveau départ pour moi commençait.
Je suis devenue bibliothécaire, lui est devenu juge. Il haïssait l'injustice, les actes de méchanceté gratuite. Lorsqu'il gagnait une affaire, il se sentait utile aux autres humains. L'obscurité contre qui il luttait depuis la mort de sa mère s'éclipsait et était remplacée par la flamme de chaleur lumineuse dans ses yeux.
Il m'était indispensable. Il était l'oxygène que je respirais, l'antidépresseur dans mes moments sombres, il était tout à la fois, il représentait l'univers dans toute sa complexité. Il était comme une supernova, expulsant les choses alentours pour briller dans toute sa splendeur.
Je l'aimais.Il était parti. De gré ou de force qu'est- ce que-ça changeait ? Être en vie ou mort comptait-il réellement ?
Car au fond, il y avait toujours ce même sentiment de perte. Ce vide à l'intérieur de moi, tordant chaque organe de mon corps. Cette main glacée, effleurant de ses ongles noirs, le souvenir le plus cher à mes yeux de celui que j'aimais, pour me l'arracher aussitôt que je l'aurais oublié.J'ai écris ces mots pour garder un souvenir intact de toi. Ce même souvenir que lorsque je t'ai croisé pour la première fois. Celui dans ton plus grand désespoir. Voici ce que nous avons vécu. Ce n'était pas juste un beau rêve, c'était la réalité. Notre réalité.
Je t'imagine dormant sur un oreiller d'étoiles, tes mèches faiblement agitées par le cosmos et tes yeux fermés sur une belle image.
Voici où est ta place, où ton âme de philosophe doit reposée. Parce que je veux que tu sois heureux.
Je veux t'aimer, pour toujours.
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A Travers Eux
Short Story" Tais- toi. Tu es magnifique." Ils étaient insouciants. Ils étaient jeunes. Ils étaient amoureux.