On ne sera jamais ensemble.

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Il replace en arrière une de ses mèches blondes, le regard dans le vague. L'air chaud de Vérone lui caresse agréablement la peau et il inspire profondément. Dans quelques heures, il va sans doute se faire tuer dans un duel, qu'il provoquera lui-même. Sa main se crispe sur le papier et le froisse. Il va devoir se battre pour l'honneur d'une famille, de sa famille. Dans quelques heures son corps sera peut être froid, traversé par une lame d'acier glacée et son sang formera une fleur écarlate sur les pavés. Fleur pourpre dont il sera le centre. Un sourire désabusé naît sur ses lèvres. 

Le rouge est la couleur de sa famille.

Il défroisse le papier soigneusement pour le plier avant de le poser sur la table. Le vent met ses cheveux longs devant le visage. Il grogne légèrement, contrarié, puis les lace en un catogan élégant. Il se dit qu'il devra peut être dire adieu à ses amis mais réalise alors que personne ne risque de regretter sa disparition. Des amis, il n'en a jamais vraiment eut on le craint, on le respecte, on l'admire mais on ne l'aime pas. Un jour, il aurait put avoir un ami. Il n'était alors qu'un tout jeune garçon, encore incapable de tenir une épée, mais il s'en souviendra toujours. Ce jour où Il a préféré les Montaigu à lui. Une réception chez le prince de Vérone, ses parents venaient de mourir de maladie le laissant orphelin, il s'y était donc rendu avec son oncle et sa tante. Il se rappelle que sa chère cousine, Juliette, était restée chez eux avec sa nourrice, clouée au lit à cause d'une fièvre. C'est alors, qu'entre le buffet et le prince, il l'avait vu. Mercutio. Le jeune parent du prince, orphelin lui aussi, habillé d'élégants vêtements d'un violet profond. Ses cheveux noirs corbeaux et bouclés encadrant son visage d'enfant à l'expression neutre.

Il se rappelle du frisson lorsque leur regard se sont croisés. La mort de ses parents l'avait rendu plus fort : il avait comprit qu'il devra être respecté et faire lui-même ses preuves, il avait comprit qu'il ne devra pas s'attacher aux gens car ils n'étaient pas éternels et que la Mort faisait mal. Cependant, ce jour là il aurait aimé parler avec Mercutio. Il se souvient être allez le voir, il se rappelle du sourire qu'arborait le petit garçon quand ils avaient parlé ensemble. Un sourire fin, léger et fugace. Il aurait aimé lui parler durant des heures pour que ce sourire reste sur son visage peu expressif. Il se rappelle lui avoir parlé avec entrain et avoir rit avec lui. Jusqu'à ce que les Montaigu n'arrivent. Il se tend légèrement à ce souvenir. Roméo et Benvolio Montaigu, déjà enfants ils ne se supportaient pas. En les voyant, il s'était excusé auprès de Mercutio et était retourné avec son oncle qui lui avait fait signe de le rejoindre. Il n'aurait pas du obéir ce jour-là. A peine avait-il quitté l'autre enfant que les deux bleus l'avait accaparé. Il n'avait pas put lui reparler de la soirée. Ni la suivante. Ni celle d'après. Il avait finalement abandonné l'idée, voyant qu'à présent c'était vers les deux jeunes Montaigu que le jeune garçon s'était tourné.

 Il en avait gardé un goût amer et une rancune toute particulière pour eux.

La première fois qu'il avait insulté Mercutio, c'était quand ils avaient douze ans. Ce dernier s'était interposé lors d'une querelle violente entre Roméo et lui, le poussant si violemment en arrière qu'il était tombé sur les dalles froides et humides de la ruelle. Il se rappelle des rires moqueurs des Montaigu, de leurs airs narquois mais surtout il se souvient du sourire méprisant qu'avait arboré Mercutio. « Tu ne sais plus tenir sur tes jambes, Capulet ? ». La réplique qu'il avait faite l'avait surprit et laisser mué. « Moi au moins je ne suis pas un chien ! Dis, tu aimes bien obéir et lécher les bottes des Montaigu Mercutio ? » . Ce soir là, il avait pleuré seul dans son lit, un bleu presque noir sur les reins et le sourire de Mercutio imprimé dans sa rétine. Il le détestait. De toute son âme.

La première fois qu'il avait frappé Mercutio, il venait de fêter ses quatorze ans. Il s'était déjà battu avec Roméo et Benvolio, évidemment, mais jamais encore il n'avait touché à Mercutio. Sans doute parce que ce n'est pas vraiment un Montaigu. Ce jour-là, il faisait une chaleur étouffante, le sang bouillonnait et la tension était palpable entre Capulet et Montaigu. Il s'était assis avec ses cousins prés d'une fontaine et s'était rafraîchit avec l'eau. Le trio était passé sur la place et évidemment, ils s'étaient approchés d'eux pour les provoquer, en particulier Benvolio. Les répliques cinglantes s'enchaînaient alors que lui, il regardait le brun bouclé. Leurs regards s'étaient accrochés et il ne parvenait pas à rompre le contact. Il avait regardé le jeune homme d'un œil nouveau, plus comme un enfant mais comme un adolescent, un presque-homme. Son visage avait encore les rondeurs de l'enfance, ses cheveux noirs de jais étaient bien plus long qu'avant et dépassaient la ligne de ses épaules. Mercutio n'avait pas la carrure imposante que lui-même avait développé à force d'entrainement intensif à l'épée, au contraire sa silhouette était fluette et encore juvénile. Il avait eu l'étrange impression qu'il devait le protéger, lui avec son mètre soixante dix et sa carrure impressionnante, il avait l'impression que juste un coup pourrait le briser en morceau, comme du verre. La bouche de Mercutio s'était tordue en un désagréable rictus. « Alors Capulet ? On a perdu sa langue ? – T'aimerais bien le chien. – Cesse de m'appeler comme ça ! – Pourtant cela te va bien, dis moi tu remue la queue aussi quand Roméo te félicite ? ». La claque avait fait un bruit mat en touchant sa joue. Il avait ouvert grand les yeux, interloqué, puis s'était levé et l'avait surplombé de toute sa hauteur avant de lui donner un coup de poing dans la mâchoire. Épargnant le nez fin dans un excès de miséricorde. Ce soir-là, il avait eut de mal a trouver le sommeil. Il le désirait. De tout son corps.

On ne sera jamais ensembleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant