Région bordelaise, Noël 1844
Constance s'en voulait d'avoir accepté de venir. Mais comment refuser l'invitation d'Isabelle ? Elle était le seule membre de la famille qui lui rendait visite et qui l'entourait d'affection.
Son père était toujours en colère contre elle, et faisait pression sur le reste de son entourage pour qu'elle reste éloignée et ne vienne surtout pas salir l'aura familiale avec les scandales qu'avaient suscité son défunt mari.
Isabelle était au-dessus de ça, et savait fort bien qu'elle n'était en rien responsable de toute cette histoire, mais au contraire, la première victime.
Isabelle et Constance s'étaient mariées la même année, mais pas avec le même bonheur. Isabelle avait épousé l'homme qu'elle aimait :Auguste Roladier. Il était le fils aîné d'un grand propriétaire viticole et avait hérité du domaine à la mort de celui-ci. Sa jeune épouse avait rapidement remis au goût du jour une tradition familiale oubliée depuis une génération, mais dont on parlait encore avec nostalgie : les grandes fêtes au château. Elle en organisait trois par an : à la Saint-Jean, puis à la fin des vendanges et enfin le dernier samedi avant la Noël.
C'était justement à cette dernière occasion que Constance s'était sentie obligée d'assister. Elle aurait aimé y revoir ses sœurs, mais aucune n'était présente. Hélène était en deuil après un décès dans sa belle-famille et Laurencie qui vivait chez son père avait été interdite d'y assister à cause de sa présence.
Isabelle en tant que maîtresse de maison était très sollicitée, mais elle avait pris le temps de la présenter à une vieille amie. Ainsi,Constance ne se sentait pas isolée, car il fallait bien admettre qu'on ne se bousculait pas pour prendre de ses nouvelles. Tout le monde était au courant de son infortune et préférait l'éviter, ce qui ne la dérangeait pas outre-mesure. Depuis son retour en Aquitaine, elle n'avait pas envie de côtoyer qui que ce soit, à part ses sœurs. Elle reconnaissait de loin quelques visages familiers qui resurgissaient de son passé. Elle n'était pas mécontente de les voir rester à distance.
Mais affronter ces personnes n'était rien à côté de celui qui avait surgi devant elle, à la fin du dîner. Pendant quelques secondes,elle avait cru qu'elle allait s'évanouir. Elle s'était agrippée à la table, toute proche, et avait pris quelques secondes pour répondre à son salut.
—Madame? insista-t-il.
—Pardon! Bonsoir Monsieur ! avait-elle murmuré la voix tremblante, en lui tendant la main.
— Chère Constance, fit Maximilien le jeune frère d'Isabelle, qui accompagnait l'homme. Je suis heureuse de te revoir, en l'embrassant avec sollicitude. Tu connais le Capitaine Delamain ?
— Oui! Nous nous sommes croisés à l'époque d'avant mon mariage.
— Et voici mademoiselle Éliette Flandrin, une amie du Capitaine,poursuivit son cousin.
— Ravie! fit Constance, sans un sourire.
—J'ignorais que vous vous étiez croisés avec le Capitaine, il y a quelques années. C'est lui qui t'a reconnu de loin. Il prétend que tu n'as pas changé !
— C'est vrai ! dit Arnaud. C'était il y a bien longtemps. Je me souviens que j'avais été surpris d'apprendre que vous étiez mariée lorsque j'étais revenu l'année suivante.
Un reproche à peine voilé trahissait une rancune persistante.
— Ma vie a connu nombre de changements toutes ces dernières années,marmonna-t-elle, sombrement.
—Vraiment?
— La vie à Paris n'a donc pas été aussi exaltante que vous l'escomptiez? demanda-t-il avec une pointe d'aigreur.
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Les petits secrets des sœurs De Raynac
KurzgeschichtenDans les trois nouvelles sensuelles vous allez découvrir Constance, Hélène et Laurencie. Trois sœurs de la région de Bordeaux au milieu du XIXème siècle. Elles sont les héroïnes de la trilogie "les filles du vignoble" dont les deux premiers volumes...