Chloé

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C'est interdit, je suis le papa de Chloé et je suis formel, pas de téléphone portable, pas d'ordinateur dans la maison.

Complètement déconnecté du monde réel, je ne comprends pas ma pauvre gamine. Elle en a marre, elle a juste quinze ans et sa vie est déjà une vie de merde.

Sa mère est partie un beau matin pour faire des courses et elle n'est jamais revenue. Fauchée par un camion, elle n'a pas survécu, c'est de cette façon que ma Chloé se retrouve à vivre seule avec moi.

Jeune homme, déterminé et solide dans mes convictions, je suis un militaire chevronné qui ne compte plus les missions périlleuses en territoire hostile.

Pourtant, derrière toute carapace il y a un cœur qui bat.

Je viens de passer six mois en Afrique centrale sans revenir en France. C'est une mission difficile, nous devons infiltrer la population, débusquer les sujets dangereux et surtout rester en vie. Nous sommes au mois de janvier, il fait très chaud sous la tente, je suis allongé sur mon lit au moment où le capitaine fait irruption sous la toile.

- Eoile, permission !

Le gradé me tend le papier, je ne peux retenir ma joie, un mois de perm en France, c'est le bonheur.

Quelques jours plus tard, j'embarque sur un vol régulier direction Paris. Je dors beaucoup durant le voyage, il y a si longtemps que je ne peux plus fermer l'œil sans avoir peur de me faire tuer durant mon sommeil.

Enfin, le pilote commence sa descente, je regarde par le hublot, découvre la capitale, ses rues, ses monuments.

Au moment où je pose le pied sur le sol de la mère patrie, je suis surpris par le froid. Je frissonne, mais de bonheur, c'est tellement bon de renter à la maison. Les premiers jours, je profite de ma liberté pour me balader sans but précis, j'ai loué une petite piaule sous les toits. Je n'ai pas de logement fixe, je voyage sans cesse et je ne veux pas m'encombrer de charges et de soucis. Le soir, je m'installe à la terrasse d'un bistrot, je commande une bière pression et je la déguste lentement. Je dévisage les passants, les filles plus jolies les unes que les autres. Les vieux sont fatigués et râleurs dans ce monde trop moderne et trop rapide. Les ouvriers se marrent entre potes en buvant un coup après le labeur, et puis les gosses qui pleurent ou rigolent. Je me régale de cette marée humaine, cosmopolite, hétéroclite et tellement loin des soucis de la guerre qui gronde si près d'eux sans qu'ils ne s'en préoccupent.

Heureusement que la population peut vivre en paix, profiter avant que la guerre ne la rejoigne.

Un matin de permission, je fais mon footing au bois. Rien à voir avec les entrainements dans le désert sous les ordres d'un sergent qui gueule sur tout le monde.

Ici, les arbres sont beaux, les fleurs sont belles, les gens sont magnifiques et même le ciel qui déverse sur nous un crachin glaçant est merveilleux. Je croise toutes sortes de coureurs et je leur souris à tous sans exception, parfois je me retourne sur une joggeuse qui me donne envie de faire demi-tour. C'est justement lorsque je trottine la tête en arrière et les yeux rivés sur une superbe paire de jambes que je percute malencontreusement une magnifique jeune fille.

Elle tombe sur les fesses, je chute au-dessus d'elle. Heureusement, j'ai le temps de déployer mes bras de chaque côté, évitant de l'écraser.

En une fraction de seconde, nous éclatons de rire. Nos regards se croisent et nos cœurs battent à l'unisson. Je l'aide à se relever, mais j'ai du mal à lâcher sa main, elle n'essaie pas non plus de la reprendre. Je l'invite à boire un verre, elle accepte, et toujours main dans la main nous avançons ainsi jusqu'à la petite guinguette témoin de nos premiers baisers. Je viens de rencontrer ma future épouse et dès lors notre amour ne cesse de grandir. Le soir, une petite auberge devient notre nid d'amour pour les quinze jours qu'il me reste de liberté. Nous n'avons pas eu le temps de nous rendre compte du temps qui passe. Un matin, ma permission est déjà terminée et je pars laissant ma Louise seule les yeux emplis de larmes. Pour la première fois de ma vie, je suis triste de repartir au combat. J'ai confiance en elle, notre rencontre est toute récente, mais tellement intense. Je ne sais pas comment je dois m'y prendre, mais je reviens le plus vite possible. J'éternise nos adieux, je l'embrase encore et encore, mais il faut je saute dans un taxi, l'avion ne va pas m'attendre. Les bouchons sont fréquents sur le périf et dans la capitale, il ne reste que quelques kilomètres jusqu'à l'aéroport, mais nous sommes arrêtés dans un énorme embouteillage. Tant pis, je dois courir sur la bande d'arrêt d'urgence et prendre mon avion à temps, sinon je vais être puni et privé de la prochaine permission. En sportif entrainé, je cours facilement mon sac en bandoulière, j'ai une bonne allure, je dois pouvoir prendre mon vol à temps. Mais le destin est parfois surprenant. Un petit trou empli d'eau, mon pied qui se tord, ma cheville qui casse et me voilà immobilisé à Paris dans un hôpital militaire.

Un père aux enfersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant