Quatrième partie

18 1 0
                                    

      Ross plissa les yeux. Le gros bonhomme se pencha pour que leurs têtes soient au même niveau. Avec la pause qu'il faisait, on aurait dit qu'il faisait la grosse commission. Ses dents jaunies dégoutaient Ross. Scott se lécha les babines; plus de viande pour le dîner. Le boucher arriva à bout de souffle. « Merci, vous l'avez arrêté. Merci. ». Le roux se leva doucement et se tourna vers le vendeur.
      – Dégage de là. Tout le monde, allez-vous en!
Les villageois s'en allèrent sans discuter, le boucher avec. Ross se releva péniblement. Le barbu se retourna vers lui, toujours le sourire aux lèvres. Il approcha ses gros doigts de la blessure qu'il lui avait fait à la joue le jour précédent. Ross le repoussa violemment, les sourcils froncés.
      – Ça te fait mal? demanda-t-il.
      – Non.
      – Dommage... tu es dans mon chemin. Tu te rappelles de ce que je t'avais dit?
      – Non.
Oui. Bien sûr qu'il s'en rappelait, mais qu'est-ce qu'il s'en foutait. La seule chose que cet homme était capable de faire avec son épée, c'était de la sortir et de la rentrer dans son fourreau. L'homme sortit son épée et l'apporta au cou de Ross.
      – Non? répéta l'homme.
      – Non. répondit Ross en le fixant, toujours les yeux plissés.
Le roux enfonça un peu plus la lame dans sa chaire. Scott s'approcha d'un bond, retroussa les babines, baissa les oreilles et se mit à grogner.
      – Qu'est-ce que c'est que cette bête? s'écria l'homme en écarquillant les yeux.
      – Thomas, il faut y aller.
Le roux, prénommé Thomas, rangea son épée dans son fourreau (qu'il portait à la taille, cette fois) et Scott s'assit gentiment.
      – Tu as eu de la chance, cette fois, chuchota Thomas en jetant un regard noir à Ross avant de rejoindre son ami.

      Ross rejoint Jules quelques minutes plus tard.
      – J'ai tout vu.
      – Et tu n'as rien fait. On y va?
Ils marchèrent, encore et encore. Midi pointait. Ils escaladèrent une petite colline et mangèrent leurs fruits.
      – Ce n'est pas beaucoup, soupira Powell.
Ross manqua de s'étouffer. Il rigole j'espère. Il regarda Jules d'un air mi-agacé, mi-découragé.
      – Quoi?
      – Je veux dire, enfin, je croyais qu'on allait avoir un peu plus et ...
      – Eh. C'est comme ça, dans la rue. Tu as voulu venir, subies les conséquences, Powell. Scott a mangé toute la viande lorsque je me suis fait bousculer et toi, tu es revenu les mains vides. Alors, s'il-te-plaît, ne te plaint pas.
Jules baissa les yeux. « Tu as raison... c'est égoïste de ma part. Je m'excuse. ». Après avoir terminé le «repas», ils s'allongèrent dans l'herbe et regardèrent les nuages. Ross ferma les yeux et laissa le vent caresser ses cheveux foncés. Il s'endormit. Jules se redressa. Il pouvait voir les tours du château qui découpaient le ciel. Il aurait voulu que le prince Pace soit en vie, mais on avait retrouvé son corps abandonné au bord de la mer, complètement brûlé. Il l'avait vu. Il avait vu ces hommes le ramasser, le porter jusqu'au château. Il s'en rappelait. C'était la première fois que Jules avait vu un cadavre aussi laid. Il en avait fait des cauchemars.
Ross se mit à gigoter. Son visage était crispé. Powell s'approcha et posa sa main sur le bras de son ami. « Ross? ». Ross l'attrapa au coude et le projeta en arrière. Jules roula et tomba sur le dos. Scott se redressa rapidement et se mit à aboyer. Le garçon qui venait de se réveiller sortit son épée et s'accroupi près de Jules, la main droite posée sur son torse pour l'immobiliser.
      – Ross! C'est moi! Tu es fou?
Le garçon lâcha son ami et s'assit la tête en arrière. Il transpirait et sa respiration était courte.
      – Jules, jamais. Jamais tu ne me réveilles dans ce genre de situation. J'aurais pu te blesser.
      – Qu'est-ce qu'il t'est arrivé?
Ross se leva et rangea son épée. Il regarda le ciel.
      – Je viens de penser... Jules, tu dois rentrer chez toi.
      – Quoi? Mais... pourquoi?
      – Tu as une famille! Tu as des gens qui t'aiment... et toi, tu es parti. Tu ne leur à rien dit. Tu dois y retourner, ils doivent au moins s'avoir ce qu'il t'est arrivé. Ce sont tes parents. As-tu des frères et sœurs?
      – J'ai une soeur.
      – Et quel est son âge?
      – 15 ans.
Jules se baissa et caressa la tête de son loup. Il sourit et regarda Ross.
      – Pourquoi dois-tu toujours me dire quoi faire?
      – Mon gars... soupira Ross. Je suis désolé, mais je crois que tu n'es pas encore assez mature pour vivre comme ça dans la rue. Même si je t'accompagne.
      – Ross. Je ne veux pas revoir ma famille. Je suis parti, je ne reviendrai pas.
Ross lui laissa le dernier mot. Il laissa les restes de fruits dans l'herbe et s'en alla.
      – Eh! Tu vas où? Ross! Attend!
Mais il ne l'attendit pas. Il continua son chemin. Jules attrapa sa cape et couru vers Ross. Il l'ignora. Il siffla et pressa son pas. Jules comprît.
      – C'est bon... je vais aller voir mes parents. Tout leur dire, mais je veux rester avec toi.
Ross se retourna en souriant et se rapprocha de lui.
      – S'ils te laissent, je veux bien continuer l'essaie.

KubbertonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant