Thomas
Leroy
Indésirables
Le parfum de l'Aubrac, ses plantes, ses forêts. Paul remplissait ses poumons de cet air familier qui lui avait tant manqué durant ses années dans son cloaque parisien étouffant.
Notre homme est encore jeune, vingt-huit ans tout au plus et pourtant il en paraissait bien plus. Depuis cinq années il n'avait connu que la rue et son enfer quotidien. En quittant la campagne et son village, il espérait vivre décemment, faire de brillantes études à paris laissant derrière lui sa tante qui l'avait élevé seule depuis sa plus tendre enfance. Ses parents, morts dans un banal accident de la route, ne lui avaient laissé que peu de souvenirs et jamais on n'abordait le sujet dans sa famille proche. La perte de sa sœur, si proche, fut une douleur immense pour sa bien-aimée tante qui refusait d'évoquer son nom et ainsi de rouvrir les plaies du passé.
Dès qu'il atteint l'âge de dix-huit ans, bachelier, il partit vers Paris, avec la bénédiction de sa mère d'adoption, faire des études de mathématiques. Cinq années de labeur plus tard et son bagage de diplôme en poche il avait bon espoir de trouver un travail. C'est ainsi que commença une déferlante de maux qui le mena à une vie de désespoir. L'argent vint à manquer autant que le travail ou personne ne le rappelait ni ne répondait. Ses lettres restaient sans réponse, les agences l'oubliaient. Son dossier empilé dans un tiroir avec des dizaines d'autres prenait la poussière et n'était jamais sorti du lot. On préférait s'occuper de ceux qui n'avaient aucun diplôme que de l'inverse, ce qui révoltait Paul.
« Pourquoi ai-je autant trimé si c'est pour voir des bons à rien avoir quelque chose tandis que ma vie s'écroule ! » Pestait-il en rentrant tous les soirs dans son petit logement situé sur le boulevard de l'hôpital.
Bien vite ses amis désertèrent, trop chic pour traîner avec pareil gueux. La cruelle vie parisienne reprenait bien vite ses droits et les enfants rebelles rentraient vite dans le rang imposé par leurs parents et une société repliée sur elle-même. Ils disparurent les uns après les autres. Honteux de sa propre situation, il n'informa jamais sa tante de sa piètre situation. Lorsqu'ils s'appelaient, tout allait pour le mieux, il avait toujours l'espoir de dénicher un travail et bientôt, il passerait la voir. On finit par le jeter dehors de son appartement, presque vide, car il avait vendu tout ce qu'il pouvait, pour le bousculer sans ménagement dans la rue dès que la trêve hivernale permit à son logeur de l'expulser. Il dormit quelque temps sous les ponts, emmitouflé dans son manteau et des bouts de carton que des SDF qui avait meilleur cœur que bien des gens lui donnèrent par solidarité. On l'accueillit également dans des foyers où il pouvait rester quelques nuits, mais la proximité avec les autres le gênait, les cris, les beuglements lui harcelaient les oreilles. Il préférait, comme beaucoup, se risquer à dormir à la belle étoile malgré les températures glaciales de l'hiver lorsque ce dernier arriva après un été rythmé par la pluie, il n'avait pas eût à supporter une chaleur caniculaire. Il s'abritait dans les fourrés près des parcs, il devait les quitter de bonne heure avant que les gens ne viennent promener leurs chiens ou leurs enfants. Il détestait leurs regards pleins de pitié. Il en avait presque horreur se souvenant lui-même de ses impressions lorsqu'il croisait un sans-logis. On se lamente de leur sort une minute ou deux puis on oublie et on se dit qu'après tout s'ils sont dans cette situation, ils l'ont cherché quelque part. Le reste de la journée, il marchait dans les rues de paris, errant dans la capitale sans savoir où aller. Marcher lui semblait moins pénible que de rester assis dans le froid à faire la manche. Il fouillait les poubelles pour trouver de quoi manger, on y trouvait toujours quelque chose, même si ce n'était pas bien alléchant il fallait bien survivre. Son esprit n'avait rien perdu de son intelligence, il lui arrivait souvent de rôder autour des librairies mettant au dehors des étagères de livre et d'en feuilleter quelques-uns, lire quelques pages, ou mieux se rendre dans la salle d'attente de la gare d'Austerlitz ou on pouvait, sur une étagère, lire des livres déposés là. Il en prenait quelques-uns et se mettait au fond, car son odeur pestilentielle faisait fuir et retrouvait un peu de quiétude à lire que ce soit de la grande littérature ou un navet de gare cela importait peu. L'espace d'un moment, il était ailleurs que dans cette réalité affreuse.