" J'aurais du bosser un peu plus mon mandarin. " C'est ce qui passait en boucle dans la tête de Marco depuis qu'il avait emménagé à Pékin. Et aujourd'hui, alors qu'il était perdu dans les rues tentaculaires de la capitale chinoise, cette pensée semblait plus que pertinente. En plus d'être perdu, il attirait les regards. Il n'aimait pas du tout ça. D'un naturel timide, il préférait passer inaperçu la plupart du temps. Mais aujourd'hui, il avait bien du mal à se méler à la foule. Marco était un italien d'un mètre quatre vingt dix, qui dominait d'au moins vingt bons centimètres le reste des gens qui l'entouraient. Il effrayait souvent les gens à qui il demandait un renseignement, ce qui le fesait parfois sourire. Mais pas aujourd'hui.
Cela faisait deux bonnes heures qu'il tournait en rond dans un des vieux quartiers de Pékin. Il était d'abord venu prendre des photos, puis s'était laissé entrainer dans les rues qui fleuraient bon la Chine du XVIIIe siècle. Et maintenant, il n'arrivait plus à retrouver l'endroit où l'avait laissé le bus. L'espace d'un instant, il maudit sa fiancée qui avait réussi à le persuader de la suivre à Pékin. Car oui, il était là pour une femme.
Mika, une jeune anglaise d'origine chinoise qui avait décidé d'entreprendre un retour aux sources, en Chine, un pays dans lequel elle n'avait jamais mis les pieds avant. Lui n'avait pas vraiment d'attache en Italie, pas de travail ( il sortait tout juste de l'université, ou plutot il l'avait abandonnée ) alors il l'avait suivi.
La pluie commençait à tomber lorsque Marco retrouva enfin l'arrêt de bus, la porte de sortie qui le conduirait jusque chez lui. Assis contre la vitre, il observait le paysage urbain défiler sous un rideau de pluie qui se fesait de plus en plus épais. Lorsque le bus fit halte à son arrêt, Marco s'arma de courage, et sortit affronter le déluge. Arrivant enfin devant son immeuble, il poussa un soupir et se secoua comme un chien avant d'ouvrir la porte du hall. Il croisa la minuscule concierge, madame Binjao, qui comme à son habitude, marmonna dans sa barbe un charabia incompréhensible, levant à peine les yeux de son magazine.
Lorsqu'il arriva devant la porte de son appartement, il perçut une odeur de brûlé. Mika avait encore mal réglé le four. Il sourit et ouvrit la porte.
<< Première chose, oui j'ai bel et bien cramé le repas de ce soir. Deuxième chose, on est invités à manger chez Eva et Karl vendredi. Troisième chose, tu es très sexy quand tu es mouillé.
- J'aime ta façon de me parler ma belle, répondit-il en souriant.
- J'aime ta façon de te perdre tous les deux jours dans Pékin. C'était où cette fois ?
- Les vieux quartiers, dit il en enlevant son pull détrempé. Je prenais des photos, et puis je me suis laissé prendre par l'ambiance.
- Je sais ce que c'est. J'ai trouvé quelques annonces de travail pour toi cet après midi, mais...
- Mais la maitrise du mandarin est requise, je sais. Je vais m'y mettre bébé, promis. C'est demain que tu vas à ton entretien à l'université non ?
- Euh oui... Pourquoi ?
- Je t'y accompagnerai, il doit surement y avoir des annonces pour des cours du soir non ?
- Sûrement... Bon, on commande des pizzas ? >>
Mika semblait nerveuse en arrivant devant l'immense entrée de l'université dans laquelle elle allait auditionner. Marco l'embrassa, la serra dans ses bras et lui souhaita bonne chance. Elle avait de quoi être nerveuse. Le hall était immense, de grands tableaux dépeignant des scènes épiques ornaient les murs. De grands lustres pendaient depuis le plafond que l'on peinait à distinguer tellement il était haut. Leur lumière baignait l'endroit d'une lueur dorée. Le hall était si grand qu'il paraissait presque vide, malgré la centaine d'étudiants qui s'y tenaient. Il regarda autour de lui, et aperçut près de l'entrée un tableau de liège où étaient accrochés des bouts de papier de tailles et de couleurs différentes. Il s'en approcha, se frayant un chemin parmis un groupe d'étudiantes qui ne manquèrent pas de le remarquer. Il entendit des gloussements derrière son dos mais n'y prêta pas attention.
<< J'aurais du bosser un peu plus mon mandarin. >> Cette pensée resurgit dans son esprit à mesure qu'il observait les annonces accrochées au tableau. Il ne comprenait rien. Il distinguait quelques caractères, mais ce n'était pas assez pour comprendre une phrase entière. Il s'appretait à aller se chercher quelque chose à boire quand son coeur fit un bond. Dans le coin inferieur droit du tableau, sous un papier rouge griffoné à la hâte, il avait cru apercevoir un mot. Un mot en anglais. Il se rapprocha, souleva le papier rouge qui masquait l'annonce du dessous.
<< URGENT - Contrat en manutention à pourvoir de suite. Travail de nuit, disponibilités souhaitées Lundi Mardi Mercredi et Vendredi entre 00h et 5h. Recherche Homme, travail physique. Pas de formation requise. Rendez vous le 07/12, 15h sur le port, Quartier B hangar 62. Demandez Hengsha. >>
Marco regarda sa montre. Le rendez vous était pour le lendemain quinze heures. Sans trop y croire, il arracha la note du tableau et l'enfonça dans sa poche. Il s'assit sur un banc, et s'endormit.
Mika était revenue encore plus tendue qu'avant l'entretien. Elle n'avait pas décroché un mot de tout le trajet du retour. Ce n'est qu'arrivé à l'appartement qu'elle décida enfin de parler.
<< J'ai tout loupé... déclara t-elle, retenant un sanglot. Ils étaient là, tous assis devant moi, je leur ai montré ma motivation du mieux que j'ai pu, et puis... Le mec qui était assis à droite, qui avait pas parlé de tout l'entretien m'a posé une question en chinois... J'ai pas compris, ca m'a complètement bloqué et j'ai perdu mes moyens je...
- Du calme ma belle, la rassura Marco, ils en ont vu passer plus d'un, tous les professeurs sont nerveux quand ils sont sur le point d'entrer dans une nouvelle université. C'est certainement pas sur ça qu'ils vont décider de te prendre ou pas.
- Tu crois ? Si... Si je suis pas prise, si je deviens pas prof d'anglais, qu'est ce qu'on va faire ? On peut pas rester sans travail...
- J'ai... J'ai trouvé un annonce, dit il d'un air absent. Je l'ai trouvée sur le tableau près de l'entrée de l'université. C'est écrit en anglais, et apparement pas besoin de savoir parler chinois.
- Et alors ? Tu vas postuler hein ? dit-elle en relevant la tête et en le regardant dans les yeux.
- J'y pense. Le rendez vous est prévu demain à quinze heures.
- C'est cool ça ! Je vais préparer à manger. Au fait, c'est pour faire quoi ?
- Je sais pas. >>
VOUS LISEZ
Hangar 62
HorrorLaisser sa vie derrière soi pour s'installer en Chine, dans un pays que l'on ne connait pas, n'est jamais une affaire facile. Encore plus quand on ne parle pas un mot de chinois. Alors lorsque Marco trouve une annonce professionnelle en anglais, il...