Réaliser

78 5 5
                                    


4 janvier1793,

La jeune fille resserra son manteau autour d'elle. Le froid de l'hiver avait envahi brutalement le pays, givrant le sol, gelant les lacs. Mais ça n'empêchait pas Elizabeth de rester, le regard fixe rivé sur le port en contre-bas, sur ces bateaux qui s'apprêtait à fuir vers le nouveau-monde. Elle regardait la longue file d'hommes et de femmes bien habillés, dernière richesse qu'ils réussissaient à sauver. Ils s'entassaient dans ces grands paquebots, prêt à partir vers l'inconnu mais un inconnu surement préférable à ces terres françaises.

- "Elizabeth, rentrez maintenant, il est tard."

L'adolescente soupira doucement, laissant fuir un voile de buée blanche. Puis elle se détourna de ce spectacle qui la fascinait chaque soir. Elle rejoignit rapidement sa gouvernante et rentra silencieusement dans la demeure à quelques pas de là.

- "Où étais-tu ?" demanda sa mère quand elle passa devant le salon.

Élizabeth s'arrêta à l'entrée de la pièce en répondant :

- "A la falaise"

- "Encore à regarder tous ces bateaux" acheva la comtesse d'une voix mécontente.

- "J'aime cette vue" répondit la jeune fille d'une voix douce. "Elle me donne de l'espoir"

- "Des idées ridicules surtout" répliqua la femme catégoriquement.

Elizabeth baissa les yeux, ne répondant rien. Elle se contenta de saluer d'un «Je vais me coucher, je vous souhaite une bonne nuit». Puis elle se détourna et monta dans sa chambre. Elle se laissa déshabiller avant de se mettre au lit. Elle resta longuement allongée, les yeux rivés sur le plafond, ses pensées agitées plongeant dans les brumes de la mer, les aléas des vagues et le lointain espoir de l'Amérique.


5 janvier 1793,

- "J'ai beaucoup réfléchis Mère, je pense que partir serait facile, bien plus que nous ne le pensons"

- "Non Elizabeth, nous ne partirons pas. Pas sans ton frère" répondit la voix autoritaire de son père.

- "Il n'y a aucune chance qu'il revienne !" répliqua la jeune fille, le désespoir pointant.

- "Ne dis pas de bêtise !" Tonna-t-il furieux. "Pierre reviendra, il n'en sera pas autrement.

Élizabeth resta sans voix, regardant son père qui la dominait de tout sa hauteur, niant la vérité, se protégeant lui et sa femme de l'inévitable. Finalement, elle réussit à bégayer d'une voix rendue aussi basse qu'un murmure.

- "Vous savez que non. Vous savez ce qui arrive aux prisonniers, ils se font trancher la..."

Elle n'eut pas le temps de finir que le comte la fit taire d'un geste de la main.

- "Pierre ne se fera pas trancher la tête, et nous attendrons le temps qu'il faudra qu'il sorte de prison."

- "Non" murmura la jeune fille. "Vous avez simplement peur de partir".

Sur ces mots, elle se leva, sans avoir touché à son petit-déjeuner, laissant derrière elle ses parents dans un silence pesant.

Elle s'arrêta à la falaise, mécontente. Les bateaux de la veille était partis. Le port était vide mais déjà quelques personnes attendaient. Ils n'avaient rien, un sac et c'était tout. Ils avaient renoncé à tout. Un prix raisonnable pour sauver sa peau.

Au-DelàOù les histoires vivent. Découvrez maintenant